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L’isolement

Par Anniedanielle

Préambule : j’ai écrit ceci en août 2019. Je l’avais sauvegardé sans le publier. J’avais tant de retard dans les articles « de suivi », mais surtout peur d’avoir l’air de quémander de l’attention ou de vouloir faire pitié, que je ne l’ai pas publié. Mais je l’ai quand même conservé, me disant que je trouverais une meilleure façon de dire les choses.
Jamais je n’aurais pensé qu’il serait à ce point d’actualité un jour.

Une des choses les plus difficiles avec la maladie chronique (encore plus avec une maladie rare, encore plus avec une maladie invisible), c’est l’isolement.

Comment ça se passe déjà?

J’en ai parlé plusieurs fois, incluant dans le vidéo que j’avais fait il y a plus de 5 ans, racontant mon parcours avec le syndrome d’Ehlers-Danlos. « J’ai perdu tous mes amis sauf deux, et même des gens de ma famille se sont éloignés. »
Et pourtant, récemment, je me suis prise à ne plus trop savoir exactement comment ça pouvait bien s’être produit. C’est si difficile à expliquer!

L’isolement
Article d’Urbania (août 2010) sur l’isolement et les médias sociaux

Quelle chance… je vis actuellement la même situation, à peu de choses près. Ça m’aide à me souvenir de la façon dont ça se produit.

On fréquente des gens plus ou moins souvent. Au travail, à l’école, dans l’exercice d’un sport ou d’un loisir

Dans chacun de ces milieux, comme tout le monde, en plus d’y croiser des gens et d’y avoir des interactions sociales, j’avais tissé des liens que je croyais plus (précieux? intimes? significatifs?) avec une poignée de personnes.

La première fois

Quand mon état s’est détérioré, en 2003, je venais de terminer mes études, je travaillais dans un hôpital, j’avais des contrats dans deux écoles : comme assistante d’enseignement en arts de la scène et comme régisseure de théâtre. Je faisais du bénévolat pour un parti politique. Je faisais de la danse. J’allais au cinéma et voir des spectacles régulièrement, souvent avec les mêmes amies. J’allais danser dans un club avec un groupe d’amis chaque mois. Et je voyais ces amis (de l’école, de l’hôpital, du parti politique) en plus des interactions « nécessaires » : un café ici, une discussion débordant le changement de quart là, un repas au resto après une réunion, etc.
Contacts que j’ai tous perdus, comme j’ai dit plus haut.

Le renouveau

Après des années complètement sur le carreau, suite au diagnostic de syndrome d’Ehlers-Danlos et à un traitement de mon syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS), j’ai retrouvé une certaine qualité de vie ainsi qu’une certaine vie sociale, et me suis fait de nouveaux amis.

L’isolement
Ma vue de la régie au Festival Mémoire et racines 2015

Des amis que je voyais chaque semaine, ou chaque mois. D’autres avec qui j’échangeais tous les jours.

Et puis, depuis un peu plus d’un an, mon état s’est détérioré à nouveau, et je vois plus clairement comment ça se passe.

L’éloignement

Ce n’est pas que les gens nous tournent le dos, pas volontairement (sauf exception).
Ce n’est pas qu’on appelle et qu’on se fait raccrocher au nez.

C’est surtout qu’on n’est pas vraiment des amis. On n’est donc pas une priorité. Et comme on n’est pas une priorité, l’effort qui doit être fourni pour continuer à être notre ami, pour garder contact, pour nous voir, surtout, devient trop grand.

L’ami d’école, du travail, du parti politique, il n’a pas beaucoup d’effort à faire pour vous voir : il fait ce qu’il ferait de toute façon, et bonus! Vous êtes là. Il vous aime bien, alors c’est pas un gros effort de rester une heure de plus, après la réunion, pour prendre un verre. Ou de s’assoir à côté de vous pendant le cours pour pouvoir discuter à la pause.
C’est facile aussi de décider d’aller au resto ensemble, surtout si c’est à deux pas d’où il a affaire.

Mais quand vous ne pouvez plus sortir de chez vous…

Elle vous aime bien, votre amie avec qui vous allez voir des shows, mais bon, elle n’a pas assez de temps dans son horaire pour aller vous voir. Elle va juste aller voir le prochain show avec quelqu’un qui peut l’accompagner.

Et l’amie avec qui vous échangiez des messages tous les jours, que vous voyiez chaque semaine… une fois que vous avez cessez de la voir, confinée chez vous… elle s’est informée de votre état une ou deux fois, mais comme ça ne change pas, elle ne sait plus trop quoi demander, se sent un peu mal de continuer sa vie alors que vous semblez figée dans le temps… et bien sincèrement, elle ne pense bien vite plus à vous sauf exception.
Loin des yeux, loin du coeur…

L’effort

Tant que vous pouvez au moins faire la moitié du chemin (physiquement, carrément), rejoindre la personne à un point de rencontre, la visiter chez elle une fois de temps en temps si possible (ou si vous habitez tout près, peut-être), vous allez voir vos amis.

Dès que vous êtes isolé à la maison, vous serez isolé socialement aussi.

C’est un exemple de plus de la différence entre la maladie chronique et un accident, le cancer ou une grosse chirurgie.
Je suis à l’hôpital des dizaines de fois par année, alitée des semaines complètes; j’ai eu plusieurs chirurgies depuis 2019; mais on n’envoie pas de fleurs ni de carte et on ne visite pas la personne qui est « hospitalisée à la maison ».

Ah, bien sûr, j’ai des amis quand même!
Sur les réseaux sociaux, bien sûr…
Mais règle générale, les amis que je fréquentais avant 2003 ou lorsque j’allais mieux (entre 2010 et 2017) ont plus ou moins disparu de ma vie, même virtuelle.

Je n’écris pas cet article en vendetta, ni pour faire pitié.
J’ai d’ailleurs quelques bons amis qui sont là, et leur présence, par contraste, est d’autant plus touchante.

Je l’écris pour deux raisons…

1. Sensibiliser

L’isolement est une des choses les plus difficiles à vivre pour les personnes malades, je l’ai écrit au début de l’article. Imaginez-vous passer des semaines complètes sans sortir de votre maison. Imaginez que la seule sortie sera pour aller à l’hôpital.

*Jamais en écrivant ceci il y a 14 mois j’aurais pensé que beaucoup pourraient finalement plutôt bien se l’imaginer! Le Grand Confinement de 2020!

😳

C’est sûr que c’est pas la même chose : la plupart ont pu sortir pour aller faire des courses, pour aller marcher, plusieurs pouvaient aussi aller travailler. Alors que j’ai passé des semaines coincée dans mon lit et de longs moments, au fil des ans, sans pouvoir sortir de la maison du tout. Mais ça donne une idée quand même.

J’ai la chance d’avoir mon conjoint et mes parents dans la même maison (et mes chats! ce n’est pas négligeable).

  • Muzo
  • Buster
  • Fripouille
Les beaux chats! ♡

Mais perdre son réseau social, c’est extrêmement difficile. Et inversement, avoir un bon réseau social est extrêmement important! Important parce que ça peut permettre d’avoir de l’aide, mais aussi au niveau de la santé mentale. Parce qu’on se sent entouré, parce qu’on peut ventiler, se sentir apprécié, aimé.

C’est encore plus important quand tu vis un moment pénible, comme l’adaptation à un nouveau diagnostic, une convalescence, etc.
Si presque tout le monde nous abandonne, si personne n’a envie de faire l’effort de venir nous visiter, qu’on n’est la priorité de personne… si nos amis nous oublient puisqu’ils ne nous voient plus régulièrement… comment ne pas sentir qu’on ne vaut pas grand chose?

2. Expliquer (au moins, essayer)

Beaucoup de gens ont de la difficulté à comprendre comment cet isolement se produit. Trop de gens pensent que c’est la peur de la maladie qui fait fuir les gens (je l’ai moi-même cru longtemps), alors qu’en général, c’est simplement une combinaison de paresse (au sens de ne pas faire l’effort… garder l’amitié vivante, ça prend de l’effort!) et d’un manque d’intérêt ou de priorisation.

La personne qui dit qu’elle manque de temps… est-ce qu’elle manque vraiment de temps, ou si, par exemple, elle préfère juste regarder la télé quelques heures de plus cette semaine, plutôt que passer du temps avec toi? Si c’est ça, en est-elle au moins consciente?

Parce qu’il y a une différence entre se dire : « Cette personne n’est pas une priorité pour moi, j’ai 2 heures de libre dans ma semaine et j’ai besoin de relaxer, je me donne ce temps pour moi »… et la personne qui regarde la télé 10 heures dans la semaine, sans trop s’apercevoir du temps qui passe, qui se sent débordée et qui est vraiment convaincue qu’elle n’a pas de temps pour te voir.

Comment

Entretenir une amitié, ça ne prend pas toujours beaucoup de temps.
Oui, une visite c’est génial, mais ça n’a pas besoin d’être pendant 5 heures chaque fois, ni une visite par semaine.
Ça peut être un coucou en passant.
Ça peut être une fois par saison.
Quelques secondes pour envoyer un texto, c’est bien aussi!
Comme prendre quelques minutes régulièrement pour un échange de courriel ou un appel.

Pour ma part, je me mets carrément des rappels pour ne pas oublier de garder le contact avec les gens qui me tiennent à coeur. Parce que j’ai peut-être du temps, mais j’ai pas de mémoire… et quand les journées s’embrouillent dans la douleur, le temps file.
Quand on y tient, on fait l’effort.

On rappelle beaucoup aux gens « d’appeler une personne seule », pendant cette période d’isolement forcé. Je sais que beaucoup de gens n’aiment pas parler au téléphone de nos jours. Il y a aussi la vidéoconférence, bien sûr! Mais je répète que les courriels, un petit texto, la messagerie, tout ça c’est bon.
Et pas que pour les gens qui vivent seuls, bien que ceux-là ont définitivement besoin de plus d’attention. Tout le monde a besoin de sentir qu’on pense à eux! Et on ne parle pas des mêmes choses avec ceux qui habitent avec nous. Puis, ça change les idées!
Allez voir votre carnet d’adresse ou votre liste d’amis sur les médias sociaux, vous allez trouver quelques noms qui vont vous frapper : « tiens, on s’entendait bien, on s’est perdu de vue… ce serait plaisant d’avoir des nouvelles! » Ne vous en faites pas si ça fait longtemps et que ça va avoir l’air bizarre. Ce n’est pas bizarre! Ça va faire chaud au coeur, je le garantis!

Le malaise

Bref, je n’écris pas cela pour rendre des comptes.
Mais c’est sûr que j’ai des amis qui me manquent beaucoup. J’aimerais qu’ils viennent me visiter, m’appellent, m’écrivent.
Encore plus sans que j’aie à le demander quémander.
Car je pense qu’ils savent que j’irais les voir si je le pouvais.
Comme je faisais souvent plus d’une heure de route pour les voir, malgré mon état de santé, il n’y a pas si longtemps.

C’est toujours difficile pour moi d’écrire sur l’aspect social de la vie avec la maladie chronique, parce que je ne veux froisser personne, parce que ça touche des gens qui vont lire ceci, ou qui connaissent ceux qui vont lire ceci. Parce que c’est beaucoup plus subjectif et sujet à interprétation que si j’écris que j’ai eu X diagnostic et l’examen Y.

Mais ça fait tout autant partie de la vie avec le syndrome d’Ehlers-Danlos.

La pandémie

Ça fait maintenant aussi partie de la vie de beaucoup sur la planète. Que ce soit lors d’un confinement plus sévère ou pour les personnes vulnérables à la COVID-19. Personnes âgées, personnes immunocompromises ou ayant certaines conditions les mettant à risque de complications et leur famille.

C’est mon cas avec l’insuffisance surrénalienne et quelques autres de mes conditions (mais surtout l’IS). Mes parents étant âgés de plus de 70 ans et ayant d’autres conditions de santé aussi, nous sommes en isolement complet tous les 4 depuis la mi-mars. Je suis parfaitement consciente que mes parents ne feraient pas autant attention si ce n’était pas de moi.

Je n’ai plus d’aide à domicile. Nous devons tout faire livrer.
Mon conjoint a la chance de pouvoir travailler de la maison. Il n’a eu que quelques rencontres sociales (moins d’une dizaine), toutes à l’extérieur et à distance; n’a vu sa mère que trois fois, son père une seule fois, en gardant ses distances.

Je ne suis sortie que pour les rencontres médicales les plus essentielles, car mes médecins évitent de me faire sortir le plus possible. Chaque fois qu’ils me parlent, ils me disent « Vous ne sortez pas, là, vous, hein? ». …message reçu.

L’hiver sera difficile.

Au final, la vie ne me semble pas bien différente des deux dernières années.


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