Je remercie vivement la maison d’édition Les Escales pour l’envoi de ce roman de la rentrée littéraire que je convoitais depuis l’annonce de sa publication il y a plusieurs mois.
Le livre : « Balèze«
Crédit photo : L&T
L’auteur : Kiese Laymon est un écrivain américain , éditeur et professeur d’écriture créative à l’Université du Mississippi . Il est l’auteur de trois livres : un roman « Long Division » et deux mémoires « How to Slowly Kill Yourself and Others in America » et « Heavy ». Le travail de Laymon traite du racisme américain, du féminisme, de la famille, de la masculinité, de la géographie, du hip-hop et de la vie noire du Sud. Ses provocations, essais et autres travaux de fiction courte apparaissent sur son blog « Cold Drank« .
Le résumé : « Partant de son enfance dans le Mississippi, passée aux côtés d’une mère brillante mais compliquée, Kiese Laymon retrace les événements et les relations qui l’ont façonné. De ses premières expériences de violence et de racisme jusqu’à son arrivée à New York en tant que jeune universitaire, il évoque avec une sincérité poignante et désarmante son rapport au poids, au sexe et au jeu, mais aussi à l’écriture. En explorant son histoire personnelle, Kiese Laymon questionne en écho la société américaine ; les conséquences d’une enfance passée dans un pays obsédé par le progrès mais incapable de se remettre en question ».
Mon avis : Il m’a été très difficile de rédiger cet article tant je ne sais que penser de « Balèze » de Kiese Laymon : un roman hors du commun dont je ne saurais pas tout à fait dire si je l’ai adoré ou non.
Dans ce livre autobiographique, l’auteur s’adresse à sa mère et lui dévoile tout ce qu’il n’a jamais osé lui dire en face et qui le ronge depuis son enfance.
Avec « Balèze », Kiese Laymon se penche sur ce que signifie être un jeune adolescent noir dans le sud des Etats Unis, à quel point cette identité a impacté son éducation, ses comportements alimentaires, ses rapports aux autres et à lui-même. Tandis que je m’attendais davantage à une œuvre militante, c’est finalement une confession d’un fils à sa mère que j’ai trouvé dans ce livre.
Les relations filiales entre Kiese et sa mère sont assez particulières, parfois un peu dérangeantes. Entre amour et maltraitance, on ne sait sur quel pied danser. Sa mère est une femme indépendante et brillante : doctorante, engagée dans les combats politiques noirs, elle témoigne d’un niveau d’exigence particulièrement élevé envers son fils, qui n’a de cesse de vouloir l’impressionner sans jamais se sentir à la hauteur. Chacune de ses rébellions enfantines puis adolescentes se solde par des actes de violence. En dépit de l’amour qu’elle porte à son enfant, cette mère semble incapable de le lui témoigner et de se dévoiler complètement. Par fierté ? par mimétisme éducationnel ? C’est donc dans une quête permanente d’acceptation maternelle que Kiese semble développer une sorte de complexe d’œdipe, qu’en tant qu’enfant, il a bien du mal à comprendre.
Ce mélange explosif de non-dits familiaux occasionne un véritable mal-être chez Kiese qui souffre alors toutes sortes de troubles compulsifs, notamment alimentaires, qui le suivront tel un fardeau jusqu’à sa vie d’adulte.
Au fur et à mesure de son apprentissage de la vie, Kiese construit son identité, fonde ses propres convictions, mène les batailles qui lui tiennent à cœur. Peu à peu, il en vient à remettre en cause les vérités de sa mère qu’il découvre ne pas être universelles. Il se révolte contre l’assimilation qu’elle lui impose : s’exprimer, s’habiller, se comporter comme les blancs américains, se faire parfois invisible : « ne les laisse pas t’abattre en plein vol Kiese ».
Naturellement, la question des discriminations raciales et du rejet social des communautés afro-américaines est présente tout au long du livre de Kiese Laymon. Au lycée, puis à l’université, il est l’un des seuls étudiants noirs de l’établissement. Il est rapidement confronté aux a priori et aux commentaires à caractère raciste des autres élèves et professeurs, tous profondément ancrés dans cette culture sudiste de l’esclavage puis de la ségrégation. Par la suite, alors que Kiese Laymon deviendra, à son tour, professeur d’université, on constate que les injustices ne cessent pas. On s’interroge sur les causes de ce rejet, de cette peur américaine qui fait obstacle à la tolérance et à l’équité auxquels devrait aspirer tous les peuples.
Contrairement à ce à quoi je m’attendais, il s’agit d’un texte très intime. C’est essentiellement de son expérience personnelle dont il s’agit et de sa poursuite d’une certaine acceptation et d’une fierté à être noir en Amérique.
Le style de l’auteur est tout à fait à part, c’est d’ailleurs ce qui rend ce livre inclassifiable. La prose de Kiese Laymon est, en tout cas, percutante et j’ai relevé un certain nombre de très beaux passages.
« Je ne voulais pas t’écrire. Je voulais écrire un mensonge. Je ne voulais pas écrire honnêtement sur les mensonges noirs, les amours noirs, les vergetures noires, le blues noir, les nombrils noirs, les victoires noires, les limites noires, l’avilissement noir, le consentement noir, les parents noirs, ou les enfants noirs. Je ne voulais pas écrire sur nous. Je voulais écrire une histoire américaine. Je voulais écrire un mensonge.
Kiese Laymon
En bref : Un récit incisif et, je dois l’avouer, un peu perturbant qui traite, en écho d’un vécu personnel, des conséquences économiques et sociales des inégalités raciales aux Etats-Unis. Une émancipation filiale qui se veut aussi être celle envers un pays et ses préjugés.
Vous avez envie de découvrir ce livre ? Vous avez eu des coups de coeur lors de cette rentrée littéraire ?