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10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire

Publié le 11 octobre 2020 par Sylvainrakotoarison

" Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. " (Parlement français, 11 octobre 2010).
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire
Il y a dix ans, le 11 octobre 2010, la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a été promulguée par le Président Nicolas Sarkozy. Initié par Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, et soutenu par Rob ert Badinter, sénateur PS des Hauts-de-Seine, ce texte, qui ne voulait stigmatiser aucune religion en particulier, avait pour but d'éviter que des femmes musulmanes ne circulent dans les rues d'une ville recouvertes complètement d'une burqa ou niqab.
Dix ans sont passés, et la France, comme le reste du monde, est en pleine pandémie de covid-19. L'un des moyens pour protéger les autres du coronavirus SARS-CoV-2, c'est le port du masque. Prenant le contre-pied de la loi du 11 octobre 2010, a été promulguée il y a trois mois la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire qui a permis le décret n°2020-860 du 10 juillet 2020, base légale des arrêtés préfectoraux imposant le port du masque dans certains territoires. Depuis le 20 juillet 2020, le port du masque est obligatoire dans les espaces publics confinés, et depuis le mois d'août, beaucoup de communes ont fait adopter l'obligation du port du masque même à l'extérieur, parfois dans tout le territoire de la commune (en accord avec le préfet, puisqu'il s'agit avant tout d'une décision préfectorale).
Le 30 juillet 2020, j'avais rédigé un article sur le port du masque où j'avais évoqué, entre autres, l'éventuelle contradiction entre le port obligatoire du masque et l'obligation de ne pas dissimuler le visage dans les espaces publics. Partie que je repropose ici et que je veux ensuite compléter.
Pour empêcher une certaine " islamisation des rues françaises" ou, si l'on prend le phénomène par un autre bout, pour "protéger les femmes dans leur intégrité vestimentaire", les parlementaires ont légiféré il y a dix ans pour interdire le port de la burqa dans les espaces publics. Évidemment, la motivation officielle n'a pas pu être formulée de manière si crue, si bien qu'il a fallu trouver des termes législatifs pour ne pas stigmatiser une religion.
En effet, la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 "interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public" a su trouver les termes neutres pour empêcher le port de la burqa : la dissimulation du visage. Et il faut vraiment ne pas avoir l'esprit perspicace pour ne pas penser aujourd'hui au port obligatoire du masque.
Heureusement, le législateur est sage et astucieux, et a pensé à (quasiment) tous les cas de figure. La loi n'interdisait déjà pas le port du casque de moto ou mobylette qui dissimule aussi le visage, ni non plus le port de masque de carnaval quand il s'agit d'une fête de même nom (j'imagine qu'à Halloween aussi, on a le droit de se déguiser en grosse citrouille, mais le décret d'application précise qu'il faut que ce soit une fête "traditionnelle", est-ce valable pour Halloween ?).
Si l'article 1 er est très court et très clair : " Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. ", il est suivi d'autres articles pour en limiter la portée. Mais déjà dans la formulation même (très judicieuse) de cette phrase, il y a beaucoup de finesse : "une tenue destinée à dissimuler le visage" n'est pas "une tenue dissimulant le visage", et le masque chirurgical peut donc déjà être autorisé puisqu'il ne vise pas à dissimuler le visage mais à protéger les autres de la pandémie de covid-19.
Dès le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2010 (dans le premier aliéna, on définit ce qu'est un "espace public"), le cas d'une pandémie est imaginé : " L'interdiction prévu à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. ". On sent que le législateur a tenu à imaginer tous les cas, le masque à souder en pleine rue, le masque des escrimeurs dans une compétition publique, le carnaval, etc.
D'ailleurs, aujourd'hui, c'est moins coûteux de porter la burqa qui est interdite que de ne pas porter un masque là où c'est obligatoire, vu que l'amende prévue est seulement celle d'une contravention de deuxième classe (au lieu de quatrième classe). Mais il faut donc bien insister sur le fait qu'il n'y a aucune incohérence, ni incompatibilité ni opposition entre la mesure du port du masque obligatoire et cette loi de 2010 contre la dissimulation du visage dans l'espace public.
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire
Insistons aussi sur le fait que la loi s'occupe des crimes et des délits et que le décret s'occupe des contraventions. Les mesures sur le port du masque sont donc d'ordre réglementaire et pas législatif.
Dans un article mis en ligne le 18 avril 2020 et mis à jour le 17 septembre 2020 sur le site d'actualités juridiques Village de la Justice, Pascal Boisliveau, docteur en droit de l'Université de Nantes, cite le deuxième alinéa de l'article 122-4 du code pénal qui dispose : " N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. ". Ainsi, lorsque les forces de l'ordre imposent le port du masque dans un espace public, la personne qui doit mettre le masque est réputée non pénalement responsable en cas d'éventuelles incompatibilités législatives ou réglementaires.
Ce juriste cite également la circulaire du 2 mars 2011 qui précise les "éléments constitutifs de la dissimulation du visage dans l'espace public". Et il explique : " La difficulté de ce texte est qu'il souligne d'un côté l'absence de nécessité d'une intention de dissimulation, de l'autre la destination de la tenue, ayant pour objet de rendre impossible l'identification de la personne. Cela se résout par la simple constatation par les forces de l'ordre du résultat du port de la tenue : si la personne peut être identifiée, l'infraction n'est pas caractérisée. ". Dans cette circulaire, il est également dit : " Dès lors que l'infraction est une contravention, l'existence d'une intention est indifférente : il suffit que la tenue soit destinée à dissimuler le visage. ".
Pascal Boisliveau remet en cause l'exception de "raisons de santé" inscrite dans la loi du 11 octobre 2010 : " Étonnamment, la circulaire de 2011 est muette sur ce point. Qu'est-ce donc que ces "raisons de santé" ? Une pandémie mondiale constitue-t-elle une telle "raison" ? Sauf avis officiel du gouvernement, le problème de pandémie reste en droit une situation générale, abstraite ; alors que l'interdiction, et sa répression pénale, impose une analyse concrète de la situation, à l'instant de la constatation par l'agent contrôleur. ".
Mais apparemment, Pascal Boisliveau, certainement excellent juriste, n'a pas connaissance de l'intérêt du port du masque, car il poursuit ainsi : " Cette approche concrète impose alors que l'individu qui veut se dissimuler le visage (ce à quoi aboutit le port du masque) établisse en quoi sa santé le contraigne à cela. Tous les individus sains n'auraient alors aucun motif concret pour s'appliquer cette exception, si ce n'est celui d'être vivant, situation trop générale pour nécessiter un document, ubuesque, en ce sens. ". Eh non, justement ! Le masque, répétons-le, n'est pas pour protéger celui qui le porte, mais les autres, ceux qui sont dans son entourage. Par conséquent, la santé de chacun nécessite que les autres, dans l'entourage, portent un masque. De toute façon, je ne vois pas en quoi l'existence de la pandémie, ce qui signifie un besoin de prendre des mesures de santé publique, donc collective, ne serait pas une "raison de santé" suffisante au sens de la loi du 11 octobre 2010.
Dans tous les cas, s'il considère que la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 n'était pas suffisante pour exclure le port du masque des dissimulations au sens de la loi de 2010 (ce qui est fort discutable), la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 résout les éventuelles contestations juridiques sur ce plan-là. La responsabilité du gouvernement est de reprendre les prérogatives de l'État régalien, à savoir la protection et la sécurité des citoyens, et dans ce cadre, ces mesures sanitaires peuvent être prises. Ne pas les prendre serait d'ailleurs aussi illégal que le contraire, en tout cas, une faute de bonne gouvernance !
Du reste, dans la seule journée du 10 octobre 2020, 26 896 personnes ont été dépistées positives au covid-19 en France, ce qui a fait exploser les précédents records quotidiens. Loin de s'essouffler, hélas, et comme on pouvait le craindre dès le milieu du mois de juillet 2020, l'épidémie poursuit sa macabre odyssée. Même si, heureusement, la plupart des cas positifs sont asymptomatiques ou développent une forme légère de la maladie, on sait malheureusement qu'une part de ces nouveaux cas ira en service de réanimation, et qu'une partie d'entre eux va en mourir.
Alors, il ne s'agit ni de posture politique ni de liberté, ni de droit, ou plutôt, simplement du droit à vivre ou à survivre, de la liberté de vivre. Porter le masque, c'est l'un des gestes qui, à moindres frais, permet de freiner la circulation du virus et d'éviter cette stratégie stupide de l'immunité collective hors vaccin qui signifierait plusieurs centaines de milliers de morts en France. Sans compter les dégâts humains collatéraux : le 10 octobre 2020, le professeur Axel Khan a évalué à 4 500 le nombre de personnes atteintes du cancer, qui seront mal soignées (opérations retardées, dépistages retardés, etc.) à cause de la recrudescence de l'épidémie et en décéderont alors que leur décès aurait pu être évité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire.
Islamo-gauchisme : le voile à l'Assemblée, pour ou contre ?
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201011-loi-burqa.html
https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/20/38544336.html


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