Quand deux auteurs (sérieux) suggèrent d'instaurer une réglementation qui lierait les profits des banques à la santé financière de leurs clients, ils s'aventurent probablement dans l'utopie, surtout en s'adressant aux autorités américaines. Cependant, leurs propositions peuvent aussi être abordées comme des composantes d'une politique de RSE.
À l'origine de la réflexion apparaît l'impensable divergence qui existe et perdure entre l'intérêt supérieur des usagers (particuliers ou professionnels) et celui des institutions qui gèrent leur argent. Quand on y réfléchit, le secteur financier est unique en ce que les pratiques, en vigueur depuis des années, directement nuisibles au bien-être de ses clients – par exemple en encourageant les découverts générateurs de frais exorbitants qui engendrent le surendettement – n'entraînent pas une désaffection massive.
À défaut d'une volonté réelle et spontanée de l'industrie de mettre fin à ces dérives, au-delà de quelques ajustements cosmétiques occasionnels, Todd H. Baker et Corey Stone considèrent que le seul moyen de rétablir l'équilibre de la relation consiste à imposer aux établissements trois mesures successives, qui viseraient à les contraindre à se préoccuper d'améliorer concrètement la situation financière de leurs clients… jusqu'à en faire leur mission principale, c'est-à-dire celle qui leur garantirait la profitabilité.
La première phase exigerait de chaque banque de calculer la santé financière moyenne des détenteurs de comptes et de transmettre ses résultats au régulateur à intervalles réguliers, selon le même principe qui régit aujourd'hui les ratios de risque, par exemple. Les instruments, à base d'analyse de données, sont désormais largement disponibles pour réaliser un tel exercice. Ainsi armées, les autorités seraient à même de déterminer objectivement les acteurs dont les méthodes paraissent néfastes pour les clients.
Dans un deuxième temps, les indicateurs ainsi livrés seraient diffusés publiquement – avec toutes les précautions requises – de manière à, d'une part, offrir une matière première aux chercheurs et aux innovateurs, et, d'autre part, promouvoir un nouveau critère de comparaison pour ceux qui prospectent le marché. Enfin, la dernière étape verrait la mise en place de dispositions coercitives contre les « mauvais » élèves : taxes spécifiques, autorisations ou restrictions de commercialisation de certains produits…
Mais faudra-t-il vraiment en appeler au législateur afin de « convaincre » les acteurs de centrer leurs modèles d'affaires sur le « bonheur » du client ? Alors que tous (ou presque) se gargarisent maintenant de RSE (responsabilité sociétale de l'entreprise), avec son important volet social, voire de contribution aux objectifs de développement durable des Nations Unies (dont le premier concerne la lutte contre la pauvreté et le troisième la santé et le bien-être), il leur suffirait d'être sincères pour rendre inutile un tel joug !
Et puis, dans une ère où le consommateur (comme l'entreprise) attend de tous ses fournisseurs qu'ils satisfassent son besoin, explicite ou implicite, peut-être faudrait-il enfin envisager la réalité : l'inévitable destin de la banque sera la focalisation sur la personne, en cherchant toujours les meilleures solutions à lui offrir pour l'aider à combler ses ambitions. Imaginez l'enseigne qui, demain, au lieu de promettre une prime de bienvenue ou un taux d'intérêt mirobolant, pourra se vanter d'accroître le bien-être de ses clients !
Alors, oui, l'idée d'évaluer la santé financière devrait constituer une priorité absolue, avec ou sans texte réglementaire. Au niveau individuel, elle procurerait à chacun un outil simple et efficace permettant de valider la performance du prestataire retenu. Sous forme agrégée, elle éclairerait, avec une transparence inédite, les politiques mises en œuvre, mettant de la sorte en lumière les approches respectueuses des clients, au même titre que les actions en faveur de l'environnement, de plus en plus incontournables.