Cette indication, qui terminait la lettre n° 86, semble poser question à différents lecteurs de la
lettre D’Instant en Instant.
Si nous entendons le mot « corps » comme étant la somme des éléments matériels, organiques,
qui le composent, cette indication n’a aucun sens. Elle dérange même sérieusement ce qu’on
appelle l’entendement, c’est-à-dire la faculté intellectuelle de comprendre, de concevoir, de saisir
ce qui est intelligible en se désintéressant de cette approche universelle du réel qu’est la
sensation. L’entendement, processus mental, est le moyen de la connaissance raisonnée par
opposition à la connaissance intuitive, sensitive.
L’indication, donnée par le maître zen Hirano Roshi n’a de sens que dans la mesure où nous
entendons le mot « corps » comme étant l’ensemble des gestes et des attitudes à travers lesquels
l’être humain prend forme, se présente, devient ce qu’il est ou se manque. Il s’agit donc de ce
que Graf Dürckheim appelle : le corps que l’homme EST, le corps-vivant (Leib, dans la langue
allemande) à ne pas confondre avec le corps que l’homme A, le corps objectivé dans les
laboratoires d’anatomie ou de physiologie (Körper, dans la langue allemande).
Notre vie intérieure est chevillée au corps-vivant. Le corps-vivant (Leib) prend la forme de notre
vécu intérieur.
Ainsi, par exemple, la personne qui manque de confiance exprime ce vécu intérieur en étant
crispée dans les épaules.
Il ne s’agit pas ici de ce qu’on envisage comme étant une relation de cause à effet, ce qui sous-entendrait qu’il y a une dualité entre ce qu’on appelle le corps et ce qu’on appelle notre vie
intérieure. Le maître zen nous dit que lorsqu’on pratique un exercice : « la cause est l’effet ET
l’effet est la cause ».
Conséquence ? Toute personne qui est en quête de sens et qui, afin de répondre à ce désir,
s’engage dans la pratique d’un exercice oriental comme le Yoga, le Taï-Chi-Chuan, Zazen,
l’Aïkido, et autres disciplines artisanales, artistiques ou martiales, sera nécessairement
confrontée à une approche du « corps » qui n’est pas habituelle en Occident.
Voici la réponse que m’a donné le maître de tir à l’arc Satoshi Sagino(1) lorsque je lui ai
demandé ce qui différencie la quête de sens engagée par l’homme occidental (lequel prend appui
sur la philosophie, un credo, la psychanalyse ou la science) et l’homme oriental qui s’engage sur
des voies telles que le Yoga, le Taï-Chi-Chuan, Zazen, l’Aïkido, et autres disciplines artisanales,
artistiques ou martiales ?
« La différence ? C'est, comme le répétait sans cesse mon maître Kenran Umeji Roshi (maître de
Graf Dürckheim pendant son séjour au Japon de 1937 – 1947) c’est la confiance dans la
pratique d’un exercice. Le chemin est la technique ; la technique est le chemin. Dans le tir à
l'arc, comme dans la pratique du zazen, lorsqu'il y a liberté intérieure, non-désir, confiance,
bonheur, présence à l'instant, cela se voit ! Dans le tir à l'arc, cela se voit à la façon de tirer de
l'élève. Dans l'exercice même il y a une réalisation immédiate.
Pour être ouvert aux autres il ne s'agit pas de penser ouverture ou d'avoir un sentiment
d'ouverture. Il s'agit de s'ouvrir concrètement, de s'ouvrir en profondeur, de s'ouvrir toujours
plus profondément. L'exercice de l'ouverture est plus important qu'une doctrine de l'ouverture.
(…)
Dire " Occupez-vous uniquement de la technique et un jour vous aurez une amélioration sur le
plan intérieur " ne sert à rien. Si on sépare ce qu'on appelle l'homme et la technique on crée une
opposition, et plus tard on ne peut plus réunir ce qu'on a opposé. Cette loi de l'unité entre
l'homme et la technique est vraie pour tous les arts. (…)
L'intériorité a son expression dans la forme extérieure du tir que nous réalisons à l'instant. C'est
pourquoi la technique est le chemin, c'est-à-dire une voie d'intériorisation. Le maître du tir à
l'arc ne fait pas de discours sur l'intériorité. Il ne sert à rien de parler de l'intériorité. Il faut
suivre la Voie avec patience. En s'exerçant régulièrement et modérément chacun peut arriver. Il
faut de la détermination. C'est plus que de la volonté. La volonté a ses racines dans la pensée, la
détermination engage la totalité de soi-même, aussi le corps ».
« Lorsqu’on pratique zazen, le corps qu’on EST prend la forme du calme ! »
Si ce constat expérientiel vous interpelle et si vous sentez le besoin de le vérifier … c’est
simple : Pratiquez zazen.
En vous rappelant ce que dit Hirano Roshi : « il y a mille et une façons de méditer mais il n’y a
qu’une manière de pratiquer zazen !
Jacques Castermane
(1) La Sagesse exercée - Jacques Castermane – éd. Le Relié (pages 102 à 113).
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