Parfois, lorsqu'on est atteint d'un trouble bipolaire, on est plus créatif que la moyenne des gens. Et surtout, jamais on ne s'énerve parce que quelqu'un a rayé sa voiture. Ou parce qu'on a oublié d'acheter des citrons.
Les citrons oubliés, les voitures rayées, c'est si dérisoire.
Lise est atteinte par une telle maladie. Elle va d'hospitalisation en hospitalisation, de crise en crise tout au long de sa vie. Le plus incompréhensible est que ces crises sont provoquées aussi bien par des événements heureux que malheureux.
En fait, il y a deux femmes en Lise:
L'une est grande, ronde et brune et l'ample robe noire qu'elle porte la grandit encore; elle a l'air sévère malgré sa rondeur. L'autre est petite mince et blonde; elle porte un justaucorps blanc et une jupe de tulle blanche et ressemble à la fée-clochette.
C'est lorsque leurs deux âmes se rejoignent et n'en font plus qu'une, que tout va bien pour Elise. Sinon, elle sombre dans la dépression quand c'est la première qui l'emporte ou, au contraire, monte dans les hauteurs, si c'est la seconde.
Entre deux crises, Lise construit sa vie. Elle se marie même. Et il se passe dix ans avant que son trouble ne réapparaisse. Il suffit cependant d'une émotion trop forte pour qu'il resurgisse et se traduise par une nouvelle hospitalisation.
Un nouveau cycle de crises et d'hospitalisations se produit. Ses vies personnelle et professionnelle en pâtissent. Elle vit de plus en plus isolée, à l'exception de Marie, qui lui est fidèle, qui lui téléphone tous les jours lorsque ça ne va pas.
Pendant des années, Lise essaie d'écrire à propos de sa maladie. Elle noircit même des pages de papier. Mais elle renonce un jour à briser le silence, posé comme une chape sur sa maladie. Elle trouvera son salut autrement, stoïquement...
Francis Richard
Une voiture rayée, c'est dérisoire, Anne Bottani-Zuber, 136 pages, Éditions de l'Aire