Après le succès de ma conférence sur la crise économique et sociale liée à la covid-19, il m'a semblé utile de donner quelques informations supplémentaires concernant l'emploi. Ce d'autant plus que, paradoxalement, bien que les prévisions économiques soient sombres cela ne se voit pas (encore) dans les chiffres du chômage. C'est pourquoi après mon billet sur le modèle néolibéral, caractérisé par une croissance obtenue au prix d'un endettement croissant, nous allons aujourd'hui nous intéresser à la mesure du chômage sur la base des chiffres fournis par l'INSEE.
L'enquête emploi impactée par le confinement
Commençons par une définition. Un chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) est une personne âgée de 15 ans ou plus qui est sans emploi au cours de la semaine de référence, est disponible pour travailler dans les deux semaines à venir et a effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d’emploi ou a trouvé un emploi qui commence dans les trois mois.
Le confinement a donc inévitable eu des conséquences sur la mesure du chômage au sens défini ci-dessus. En effet, entre le 17 mars et le 10 mai, au plus fort d'un confinement strict doublé d'une psychose ambiante entretenue par les médias, peu de chômeurs étaient disponibles disposés pour "travailler dans les deux semaines à venir". De plus, la collecte des données de l'enquête emploi n'ayant pu être effectuée en face à face (premières et dernières interrogations), elle s'est faite par téléphone, d'où un recul de la qualité et du taux de collecte. Néanmoins, en utilisant des méthodes de redressement tout en s'abstenant de modifier le questionnaire, les chiffres obtenus demeurent pertinents pour l’analyse.
Le chômage au 2e trimestre 2020
En attendant les chiffres du 3e trimestre qui seront publiés à la mi-novembre par l'INSEE, nous allons nous intéresser aux 13 semaines du 2e trimestre, impactés par 6 semaines de confinement :
[ Source : INSEE ]
Au deuxième trimestre 2020, le taux de chômage au sens du BIT est en baisse à 7,1 % de la population active en France (hors Mayotte). Au-vu des explications données ci-dessus, le lecteur aura compris que ces chiffres sont évidemment en trompe-l’œil et qu'il serait déraisonnable d'en inférer quelque amélioration de la situation sur le front de l'emploi. Cette baisse du taux de chômage résulte d'un fort recul du nombre de personnes sans emploi en recherche active d'emploi pendant la période de confinement, comme le montre le graphique ci-dessous :
[ Source : INSEE ]
Le halo de chômage
La contrepartie de la baisse du chômage au 2e trimestre est une augmentation du halo autour du chômage, qui est constitué d'inactifs n'étant pas au chômage au sens du Bureau international du travail mais étant dans une situation qui s'en approche :
[ Source : INSEE ]
Le taux d'emploi en baisse
Le taux d'emploi d'une classe d'individus est calculé en rapportant le nombre d'individus de la classe ayant un emploi au nombre total d'individus dans la classe. En moyenne au deuxième trimestre 2020, le taux d’emploi des 15-64 ans diminue de 1,6 point à 64,4 %, après une stabilité au premier trimestre. Il baisse pour toutes les catégories d'âge et de sexe, surtout pour les jeunes !
[ Source : INSEE ]
En raison des dispositifs de chômage partiel, le sous-emploi a nettement augmenté au 2e trimestre 2020 et le nombre moyen d'heures hebdomadaires travaillées par emploi a reculé.
Ce que le taux de chômage ne dit pas
Le taux de chômage n'est qu'un nombre, incapable de synthétiser toute la réalité socioéconomique du phénomène. Or, à force de commenter ce seul et unique indicateur, l'on finit par occulter toutes les questions de qualité de l'emploi et de déclassement professionnel, qui expliquent le malaise grandissant ressenti par les salariés ravalés au rang de simples exécutants numérotés d'un programme d'ensemble voué tout entier à l'efficacité, c'est-à-dire prosaïquement au rendement. On notera d'ailleurs non sans ironie que les soignants, adulés depuis la crise de la covid-19 par le gouvernement, étaient pourtant l'objet d'un profond déni (mépris ?) quelques mois auparavant, comme en témoignent les grèves réprimées et les audits sans fin...
La société est donc devenue malade de la gestion, pour reprendre un titre d'un excellent livre de Vincent de Gaulejac, ce qui signifie qu'il existe un projet politique visant à confier aux bons soins de la logique de marché des pans entiers de notre société qui devraient normalement lui échapper. Tel est le cas de la médecine, de l'instruction, etc. qui font désormais leur entrée dans la guerre économique où s'expriment avant tout les intérêts particuliers financiers et égoïstes.
En définitive, il n'y a pas de quoi pavoiser sur ces chiffres du chômage, d'autant que les dégâts de la crise sanitaire vont seulement se voir statistiquement au début de l'année 2021. Et comme les restrictions ne cessent de se multiplier dans un département après l'autre, je n'ose imaginer le front de l'emploi après Noël...