Si je renonce à comprendre
C’est que tu m’as déjà pris
Dans tes filets de silence
Comme le jour qui s’avance
Un homme nous parle sans grandiloquence, de son voyage qui s’achemine doucement vers sa fin. Il ne fut épargné ni par le désir, ni par l’échec. A l’heure où le soir tombe c’est bien l’enfant, en lui, qui appelle encore ; un enfant amoureux qui n’a pas trahi son rêve, malgré tant de raisons d’y renoncer. Ayant traversé les heures les plus sombres du désir insatisfait ou de l’abandon cruel, il n’a pas déserté. Si le cœur avoue parfois sa détresse ou son désenchantement, les mots qui l’expriment, l’affermissent et le relèvent. Toujours plus épuré, le chant en trébuchant, monte vers sa cime : Ces folles caresses rêvées / Ces intimes moissons de chair / … Qui saura ce qu’elles coûtèrent / De nuits âcres d’aubes navrées. Troublé, on reçoit ces confidences fraternelles qui savent si bien exprimer nos émois, nos attentes, nos peines, mais aussi nos enchantements : Sous les murs du jardin / Les œillets par brassées / Me faisaient chavirer.
Nos jardins ne furent pas les siens, mais nous savons comme lui …qu’on reste prisonnier/ De l’enfance et de sa nuit. Il nous rend, ce qu’on est en droit d’attendre d’un vrai poète : la source des émotions captives au plus profond de nous. Il fallait, pour que ces vers nous rejoignent, qu’ils ne dissimulent ni leur douleur, ni leur joie.
Offrir sa gorge au silence / Jusqu’à ce que la nuit fende / L’âme d’un grand coup d’épée // Regarder son bien aimé / Disparaître sans comprendre // Ne plus se voir qu’au passé
Qui un jour a souffert en son amour, reconnaîtra ce silence déchirant. Pour autant, le poète ne se perd pas dans les gouffres qu’il côtoie. Malgré les épreuves, la promesse faite à l’enfant ne s’est jamais démentie. C’est elle que dévoile la certitude confiante des dernières pages de ce livre magnifique :
Bientôt je ne verrai plus
Que les trous pleins de lumière
Où la vie qui m’échappait
Viendra se rassembler toute
Si éloignée des conventions anorexiques, souvent indigentes de notre époque, la voix qui parle ici ne s’embarrasse pas de précautions, pour délivrer le chant du cœur et de l’âme étroitement liés. Elle accueille, transfigure nos émotions. Grâce à Gérard Bocholier, rejaillit l’hymne universel de supplication et de louange qui traverse les âges. C’est la plus pure poésie.
Jacques Robinet
Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance, La Coopérative, 2020, 140 p., I6 €