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720_ mercredi 5 octobre 1988

Publié le 06 octobre 2020 par Ahmed Hanifi

 5 octobre 1988, hier.

Sale temps en ce mercredi 5 dans l’œil de Satan. Lundi j’ai déposé les demandes de renouvellement des passeports à Arzew. Des rumeurs ont traversé avec insistance les rues de grandes villes comme Oran, et même chez nous autour d’Arzew. Des anonymes (qui se révèleraient être des flics ou plutôt des « agents », nous disions « khawa ») avaient prévenu « mercredi, elle va se mélanger », entendre « mercredi ce sera le désordre. » Et en effet, le mercredi 5, comme le jeudi et les jours suivants, le pays était « à feu et à sang » comme disaient les journalistes étrangers. Les radios et journaux, nous n’avions pas encore les antennes satellites pour capter les chaînes de télévision française. J’étais revenu de France depuis un an et demi. « Retour définitif » (il durerait 7 ans). La crise financière de 1986 semble s’être aggravée. Tous les deux ou trois ans des manifestations se déroulaient dans les grandes et moyennes villes, au point qu’en 1985 le président Chadli avait encouragé la création d’une Ligue des droits de l’homme (LADH) pour à vrai dire contrecarrer l’autre ligue créée en juin 1985 par un groupe de militants dont Maître Ali Yahia Abdennour, la LADDH issue du Mouvement berbère (MCB). Ali Yahia est arrêté dès le 9 juillet. Au sein de la ligue « officielle du pouvoir » il y avait aussi des gens sincères (qui a tué son président Maître Fethallah?) et qui voulaient s'émanciper de la tutelle officieuse du pouvoir. À Oran, Alloula en était membre ainsi que Ghouadmi, Boumediou, Henni,Dahdouh, Khadraoui... beaucoup d'autres, et moi. Les dernières manifestations juste avant (et même pendant) l’explosion du 5 octobre étaient ouvrières avec les grévistes des usines de Rouiba. On était loin du « Chahut de gamins » (comme l’avait annoncé le représentant de l’Amicale des Algériens en France, Ali Ammar)Revenons à Oran.Les locaux du FLN étaient saccagés un peu partout dans le pays. De nombreuses administrations, mairies…. avaient fermé. Il en a été ainsi jusqu’au discours du président Chadli du 10 octobre (après avoir reçu Ali Benhadj, Nahnah et Sahnoun), le jour de la manifestation à Alger noyautée par les islamistes qui avaient la veille lancé des tracts appelant à manifester. Les policiers et les militaires tirent sur la foule ce 10 faisant 33 morts dont le journaliste Sid Ali Benmechiche. Le bilan fait état de plus de 500 morts durant toutes ces manifestations d’Octobre, essentiellement des jeunes gens et adolescents. Beaucoup ont été torturés.C’est ce même jour qu’un « collectif de 70 journalistes » dénonce la censure auprès de l’AFP. Pas avant. Durant les mois précédents les journalistes algériens revendiquaient des logements, des conditions de travail et de salaires corrects, pas de revendications politiques contrairement à ce que certains d’entre eux affirmeront – roublards - plus tard. Il n’y a qu’à lire leurs écrits dans les journaux d’alors (exemples ici en fin d’article)Revenons encore à Oran. Nous nous sommes rendus dès le lendemain du 5 dans le centre-ville. Des dizaines de jeunes manifestaient dans les rues, certains portant des paquets subtilisés des centres commerciaux ou magasins. Les dérapages existaient bien, mais la coupe était pleine. Dans la voiture, cela sentait l’oignon me semblait-il alors, « crymougène ! » (gaz lacrymogène) me dit B. On a vite fait de traverser Ben M’hidi. À Gambetta, tous les jours vers 18 heures, nous tenions des assemblées informelles chez B, chez Bijouti, chez Bouchi… La parole, soudain, se libérait. Elle partait dans tous les sens et chacun, évidemment, avait raison. Pour les enfants d’OctobreOctobre Ce matin d’automne l’heure de vérité avait éclos À la fenêtre de mes dix-sept printempsEmporté par la colère et le ras-le-bolHogra hogra hogra !Ils étaient depuis des lustres mon lot contagieux Je glissais parmi les mille et les centsTravail y a pasLogement y a pas Distraction y a pas Chkaya y a pas Hogra hogra hogra ! Ce matin-làParmi les mille et les centsC’est leur opulence,Arrogance et méprisQue je ciblaisJe brisais, enflammais, barricadais Bâtiments officiels,FLN et villasHogra hogra hogra ! Porté par des mille et des centsAu soir venuLes kakis blindés nous ont embastillésLeur couperet s’est abattu sur nos naïvetésAu crépuscule sombre de ce matin diaphane là Hogra hogra hogra ! Nous étions des mille et des cents Nous murmurions, revendiquions Liberté Liberté LibertéDans nos rues et cités crues Et dans leurs geôles écarlates Ils nous ont torturés, tués MartyrisésLarbi Ben M’hidi L’avait préditMourir avant l’indépendance la belle affaireQue vivre sous l’oppression – alors à venir – des frères Car, lorsque nous serons libresil se passera des choses terribles !Hogra hogra hogra ! (in Débâcles- Incipit en W- 2016)Lire la suite ici sur mon site :

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