(Notes sur la création) Claude-Henri Rocquet, Le mineur obstiné
Par Florence Trocmé
Je n'ose pas me dénommer poète. Mon activité poétique me semble trop épisodique, trop saisonnière, trop accidentelle… En état d'activité poétique, j'écris chaque jour un ou deux poèmes pendant quelques semaines. J'ai alors l'impression d'accomplir une exploration, de découvrir progressivement certaines de mes lois profondes, certaines lois profondément humaines. Chaque poème, s'il vaut dans l'instant, vaut moins que le mouvement dont il est un moment. Passé l'embrasement du poème, la flamme passe ailleurs (elle ne me semble laisser qu'une cendre ; elle reparaît dans la naissance d'un autre poème et ainsi de suite…). Quand tout s'est éteint, j'ai plus à faire à un monceau de cendres qu'à une lumière. Mais je suppose que la flamme n'est pas perdue, qu'il y a eu un travail souterrain… A vrai dire, la poésie pour moi depuis quelques temps, c'est peut-être avant tout une laborieuse, une imparfaite recherche spirituelle : le moyen de me déchiffrer, de me défricher ou plutôt d'atteindre à travers moi les vérités premières. Je cherche le dedans de l'expérience de vivre. Les traces de cette pérégrination, ce sont peut-être des poèmes. Moi, je ne peux en connaître le goût. Comme dans ces fables : le pays vers lequel il est interdit de se retourner à moins de le perdre...Derrière moi ces écrits qui me sont insensibles ; devant moi, dedans moi "cela" à peine, à peine sensible… Il faut que bien du temps se soit écoulé pour que je puisse juger mes poèmes. Je peux être ému par des états que j'ai traversés et dont ils sont la trace. Ce n'est plus moi, mais ils m'émeuvent. Les poèmes récents ? Je ne sais pas.
Claude-Henri Rocquet, texte extrait de "Le mineur obstiné", qui ouvre le tome 3/4 des œuvres poétiques complètes, éditions Eoliennes, 2020
Choix d’Eric Eliès.