En vain la mer fait le voyage
Du fond de l'horizon pour baiser tes pieds sages.
Tu les retires
Toujours à temps.
- Léon-Paul Fargue -
La jeune fille pose le pied sur le quai désert. Elle est chaussée de tennis à la toile défraîchie par le voyage.
Dans un nuage des montagnes, l'autorail s'est enveloppé d'une pellicule de gouttelettes.
Maintenant qu'il ronronne à l'arrêt sous le soleil de la plaine, quelques irisations perlent encore à la surface de ses tôles et de ses vitres grasses.
Unique passagère à descendre dans cette gare, la jeune fille tire sa valise souple à roulettes à l'ombre d'un cèdre où elle a repéré un banc en ciment ébréché.
Elle repense aux jardins piquetés de Perce-neige qu'elle a quittés pour ce pays où mûrissent des citrons.
Cette pensée lui vient à la vue d'un lampadaire encore inexplicablement allumé dont le verre a la forme d'un citron mais dont la lumière inutile évoque la blancheur scarieuse des globes de Perce-neige.
Les dernières brumes du petit matin s'effilochent dans la chaleur.
La jeune fille jette un rapide regard autour d'elle, délace ses tennis et étend ses pieds moites dans un rayon de soleil. Lorsqu'ils sont secs et lisses, elle se rechausse à regret, se lève et tire sa valise à roulettes.
Elle traverse les voies puis marche un moment dans des rues encore vides.
Du haut d'un mur délabré, un chat la regarde passer en clignant des yeux.
D'un pas régulier, elle effleure la poussière sans prêter attention à son ombre le long des dignes façades rayées de persiennes. Parfois, les roulettes de la valise se bloquent en crissant sur du sable.
Bientôt, les murs des maisons perdent de leur superbe et l'ombre de la jeune fille s'étire contre une haute palissade de bois clair.
Apparaît une porte de bois lessivée par les intempéries et ornée d'un heurtoir en forme d'hippocampe.
La jeune fille frappe, ouvre la porte et cela provoque un courant d'air tiède qui dépose une fleur de sel sur ses lèvres.
Dès que la porte est refermée, une brise à peine plus fraîche l'enveloppe doucement.
Immobile, elle frissonne devant l'océan qui respire comme un gros chat endormi puis tire de nouveau sa valise sur un chemin de caillebotis.
Elle s'arrête pour enlever ses tennis dont elle lie les lacets pour les suspendre autour de son cou.
La brise marine vient apaiser ses pieds nus sur les lamelles de bois.
Un vendeur d'étoffes et de bimbeloterie s'écarte devant elle et lui conseille de prendre garde aux clous qui peuvent dépasser car, insiste-t-il, il n'est pas question de blesser et d'abîmer des pieds aussi fins et délicats qui ne sauraient se contenter de sandales de sable alors que de belles espadrilles jaunes, violettes, bleues ou rouges vraiment pas chères les protégeraient en beauté.
Heures, minutes, et secondes se dissolvent dans le temps spécifique des dunes.
Le vendeur, le chat qui cligne des yeux, l'autorail irisé, le voyage, tout est reparti au large.
Quant à la jeune fille, elle marche dans l'écume et éprouve une joie tranquille.
Elle ne s'étonne en rien de sa propre splendeur ni de celle du paysage maritime.
Elle pense juste, en regardant ses pieds, qu'à chaque flux et reflux, l'océan s'amuse à lui retirer ses sandales de sable.
Tableau : Seul à la plage - Hughie-Lee Smith, 1957.
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