La semaine passée, un jury de 25 professionnels de l'assurance présentait [PDF] – sous la houlette du Pôle Finance Innovation, organisateur de la compétition – son palmarès de l'« Insurtech de l'Année 2020 ». Petit problème : les lauréats désignés, quelles que soient leurs qualités, ne ressortent objectivement pas de l'insurtech.
J'insiste : je ne mets absolument pas en doute la valeur des solutions développées et commercialisées par Akur8, qui remporte le grand prix pour son moteur de modélisation des risques et de tarification, et par Monk, distingué d'un coup de cœur spécial pour son outil d'estimation de dommages par analyse d'images. Cependant, ces deux entreprises ne sont « que » de très classiques éditeurs de logiciels (ou, pour l'exprimer autrement, des fournisseurs de technologie) à destination des compagnies d'assurance.
Au-delà de la simple sémantique, la distinction est essentielle et, à l'inverse, la confusion qui est fréquemment entretenue est un triste révélateur des biais de l'innovation en France. Par analogie avec la Fintech, qui est elle-même victime du syndrome, l'insurtech peut être définie comme l'application des technologies dans le but de transformer les activités d'assurance, ce qui est, évidemment, différent d'une utilisation de l'informatique à des fins d'optimisation des processus existants, dans le cas de nos deux gagnants.
La première conséquence de cette séparation est un écart béant séparant les degrés d'innovation des deux types d'approches. D'un côté, il existe un potentiel réel de rupture, matérialisé par l'introduction d'un produit révolutionnaire, par la réinvention complète d'un processus, par la création d'un système de distribution inédit… De l'autre, il ne peut être question que de progrès incrémental ou d'amélioration marginale, généralement motivée par un objectif de réduction des coûts, sous une forme ou une autre.
Naturellement, cette dernière préoccupation est parfaitement légitime. Le problème survient quand elle est exclusive, quand elle éclipse totalement toute possibilité d'insurtech « pure » et donc de changement radical, puisque les acteurs historiques seuls sont encore moins susceptibles de l'impulser. Si ces comportements continuent à se propager, il ne faudra pas s'étonner de découvrir un jour que, hormis une ou deux exceptions telles qu'Alan, les véritables gagnants de l'ère digitale sont étrangers.
L'écosystème hexagonal de l'innovation dans la finance et l'assurance est tiraillé par les contradictions, entre, d'une part, les rêves et les prétentions d'excellence (soutenues par les plus hautes instances de l'état) et, d'autre part, une absence dramatique d'audace, qui conduit à se contenter de maigres avancées techniques – souvent copiées sur des idées déjà éprouvées ailleurs, de surcroît – et à mépriser les startups authentiques, qui prennent des risques pour rompre le statu quo (le scepticisme accueillant l'arrivée prochaine de Lemonade en France l'a encore confirmé récemment).
À l'heure où tant de responsables se lamentent de notre dépendance aux géants du web américains et craignent l'émergence des dragons asiatiques, il serait temps de prendre conscience de ce qui a fait leur succès et d'éviter de reproduire les erreurs d'autrefois. Les vendeurs de technologies sur lesquels s'appuie l'innovation dans notre pays peuvent envisager un fort développement… mais il n'a aucune commune mesure avec l'hypercroissance qui crée les leaders. Pour revenir sur le terrain sémantique, il faudrait admettre que, derrière les discours, la France est bien pauvre en vraies startups.