A l’heure de l’indignation facile et instagramable, les jeunes découvrent cette semaine l’existence des Ouïghours en postant un carré bleu très seyant dans leur fil d’actu. Sans pousser le vice de leur demander s’ils savent où se trouvent l’Ouïgourtie (déjà que situer Pékin sur une carte du Japon, c’est une torture sans nom !), on les voit prendre fait et cause pour un peuple martyrisé et enfermé par un gouvernement chinois déjà passablement contrarié par ces histoires de pangolins inventées par Trump. Quant on s’insurge pour nos libertés individuelles en devant juste porter un masque ou en devant traverser au feu vert, il est de bon ton de s’intéresser à la cause ouïghoure, même si ce sont des musulmans, alors qu’on a déjà du mal à supporter les nôtres ! Parce qu’en plus d’être interdits de pratiquer leur religion, en plus d’être enfermés dans des camps dignes des grandes heures allemandes, ce peuple-là sert aussi de main d’œuvre aux usines de la région du Xinjiang, où se regroupent comme par magie, toutes les grandes marques américaines ou européennes du luxe, de la technologie, de la mode et de l’automobile.
Alors oui, Joris, 15 ans, tu as raison de t’indigner violemment contre ces pratiques inhumaines sur ton smartphone Apple ou Samsung, allongé sur ton lit à jouer à la Nintendo Switch en buvant du Coca, une paire de Nike à 150 euros aux pieds, avec ton polo Lacoste même pas contrefait, ton caleçon Calvin Klein (qu’il faudra penser à laver à la fin de la semaine) et tes envies de BMW ou de Jaguar lorsque tu auras réussi ta carrière de Youtubeur ! Mais en t’insurgeant aujourd’hui pour cette cause, tel un jeune Che Guevara des réseaux sociaux, tu contribues à faire marcher la grande machine consumériste qui regarde le monde s’écrouler à travers son écran de smartphone en s’émouvant un peu, le temps de passer à une autre cause.
Tu as été Charlie à 10 ans, tu as pleuré Bruxelles, mais moins Christchurch, tu as versé une larme pour des migrants, en priant pour qu’ils s’installent quand même en Italie, tu as été Gilet Jaune, puis plus, c’est so 2019, tu as chanté Notre Dame de Paris , parce que c’est quand même une super comédie musicale, tu as liké des koalas fumants en Australie, tu as applaudi les soignants avant d’aller boire des bières sur les quais avec tes potes, tu as chanté Beyrouth ave Mika, tu as célébré Metoo avant d’envoyer une dernière dick pick à ta meuf, tu as été noir avec Black Lives Matter, parce qu’on est tous Bro mon frère et que Booba et Aya Nakamura c’est trop d’la balle ! Enfin tu as suivi Greta Thunberg, parce que « le climat, merci les adultes, mais c’est pas nous qu’à tué les ours blancs », alors que tu consommes chaque jour l’énergie du Lichtenstein en te connectant à la toile, en chargeant tes batteries et en jouant au jeu vidéo. Ton empreinte carbone est une catastrophe, mais tu ne le vois pas dans la pénombre de cette chambre d’où partent les nouvelles révoltes. A défaut de révolutions. Car il faut se lever, changer de slip, commander un Uber, car c’est bien connu, « c’est trop la honte de faire la révolution en trottinette électrique, mais là tu vois, j’ai plus de thunes, j’ai commandé de nouveaux AirPods sur Amazon pour éviter d’entendre mes parents me donner des leçons ou m’expliquer des trucs chiants, écouter le dernier Damso, qui a un gros son de bâtard et regarder le nouveau Mulan que j’ai pécho gratos, parait qu’il est tourné au Xinjiang, tu vois que je me cultive ! Quant à arrêter de consommer, franchement frère, plutôt crever ! »
Ben voilà, là au moins c’est raccord avec la situation du peuple ouïghour.