Terre devins

Par Afust
« On peut être sceptique mais l’important est le résultat final. Et s’il est une chose certaine, c’est que les vins de Lerclerc Briant ne manquent pas de vitalité. »
C’est ainsi que s’achève un article récemment publié par « Terre de Vins ». Et je crains que cette conclusion ne soit aussi fausse que ce qui la précède.

Lorsque nous dégustons puis commentons les vins sur lesquels nous nous sommes penchés, en effet : l’important est le résultat final, le vin.
Mais en aucun cas un résultat final satisfaisant ne peut entériner l’exactitude des théories du praticien ! un navigateur terraplatiste qui arrive à bon port ne prouve pas que la Terre est plate.
Ceci dit sans préjuger de la qualité des vins de Leclerc Briant qui n'est ni le sujet de l'article de "Terre de Vins", ni le propos de ce billet (quant à savoir ce qu’est la vitalité d’un vin …).
L’article de "Terre de Vins"
(à moins que ce ne soit "Terre Devins" ?) pose d’emblée que :

« Hervé Jestin a jadis été un “scientiste”, avec une formation universitaire solide en biologie et en chimie. ».
Je ne sais pas bien ce que le journaliste entend par « être un scientiste » mais je soupçonne que d’une part c’est un peu sale et, d’autre part, que me risquer à écrire ce billet doit prouver que j’en suis un, et de la pire espèce.
Néanmoins, ce doit aussi être une forme d'argument d'autorité, sans avoir l'air d'y toucher.
Quoiqu’il en soit, au vu de ce qui suit nous pouvons tenir pour acquis que l’interviewé pas plus que l’interviewer ne sont des scientistes. Ce sera l’occasion de mon premier retour à Emil Cioran (« Syllogismes de l’amertume ») :
«  Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette ».
Pour autant mon premier reproche ne portera pas sur la science. Je lis :

« Mais autant en matière de viticulture, il existe de nombreux ouvrages reprenant l’enseignement de Steiner, autant le penseur de la biodynamie avait ignoré tout ce qui concernait le vin et la vinification, considérant sans doute, comme beaucoup à son époque, que l’alcool était un fléau pour la classe ouvrière : “C’était une nourriture du corps, pas une nourriture de l’âme”. »

Prétendre que le vin, même au début du XXème siècle, était une nourriture du corps mais pas une nourriture de l’âme est faire un peu vite abstraction de ses dimensions philosophiques et religieuses ! en outre ajouter que l’on considérait qu’il était un fléau pour la classe ouvrière c’est occulter la quantité phénoménale d’ouvrages datant de la fin du XIXème et du début du XXème qui répètent inlassablement que le danger n’est pas le vin mais le cabaret et ses alcools !
Ceci dit j'en viens au coeur du sujet.
Dans le milieu vitivinicole il est généralement bien connu que la Champagne a de longue date développé des matériels et des méthodes de pressurage de grande qualité.
Cela a commencé dès le début du XVIIIème siècle avec Jean Godinot et s’est poursuivi quelques décennies plus tard avec Nicolas Bidet.


Nicolas Bidet (1759). Tome II du :
"Traité sur la nature et la culture de la vigne".


L'article de "Terre de Vins" nous apprend que le travail de ces pionniers est en perpétuel renouvellement :

« Le pressurage est pour le raisin un moment très délicat que chez Leclerc-Briant, l’on n’hésite pas à comparer à une naissance : comme l’enfant dans le sein de sa mère, le jus a jusqu’ici été relativement préservé des interactions avec l’extérieur, tandis que la rupture de la peau le confronte d’un seul coup à un nouveau milieu, l’inondant d’une multitude d’informations. Pour que cette transition se passe bien, il faut l’accompagner en l’aidant à faire le tri : “l’idée c’est de pouvoir créer d’emblée un canal par lequel le vin va pouvoir recevoir les bonnes informations de l’homme, dans la mesure où on considère que le vin est une entité douée d’une certaine conscience. Si on veut que l’être humain soit capable de se retirer par rapport à l’intelligence de la nature, il faut que la nature soit capable de raisonner, or le moût n’est plus un produit complètement naturel, c’est un produit transformé. Donc, l’idée, c’est de faire en sorte que durant cette transformation, on puisse solliciter l’intelligence de la nature.” »

"Le Devin". 1972 (c) Dargaud
(A gauche, l'ancêtre de l'antenne Lecher ?)


Qu’avant le pressurage le jus soit préservé des interactions avec le milieu extérieur est une évidence : avant le pressurage il n’y a pas de jus. Presser un raisin ce n’est pas enlever un bouchon pour faire couler tel ou tel liquide ! c’est, littéralement, presser la pulpe pour en exprimer le jus, accompagné des substances solubles ou insolubles que l’on souhaite extraire du raisin.
Quant à presser pour : « créer d’emblée un canal par lequel le vin va pouvoir recevoir les bonnes informations de l’homme, dans la mesure où on considère que le vin est une entité douée d’une certaine conscience » … c’est lorsque je suis confronté à ce genre de déclaration que je réalise pleinement que je suis un indécrottable scientiste. Et que je m’en réjouis.

« Donc, l’idée, c’est de faire en sorte que durant cette transformation [le pressurage], on puisse solliciter l’intelligence de la nature. ».
Oui, l’intelligence de la nature.
Pendant le pressurage.
Bien sûr.
« En général, pour les chefs de cave, le pressurage, c’est l’heure de multiplier les mesures pour vérifier notamment l’équilibre du moût entre l’acidité et le sucre. » 
Là mon ptit gars, va falloir revenir aux fondamentaux ! Car si tu attends le pressurage pour vérifier les niveaux d’acidité et de sucre, comment te dire … c’est peut-être un peu tard vu que, de toute évidence, quand tu en es au stade du pressurage tes raisins sont vendangés. Or ce genre de chose (sucres et acidité) mesure la maturité dite « technologique » … qui est un des indicateurs (pas le seul, car pas suffisant) pour décider du déclenchement des vendanges !
L‘intelligence de la nature c’est cool. Mais faut peut-être pas trop lui en demander.
« Hervé Jestin lui, préfère utiliser son antenne de Lecher pour mesurer l’équilibre entre les énergies cosmiques et les énergies telluriques. Il cherche ensuite à optimiser ce ratio pour charger le vin d’énergies positives qui arriveront jusqu’au consommateur. Comment ? En additionnant certains produits dont il détermine la recette simplement en écoutant le vin. Ici, dans la manière de doser, les nombres symboliques ont leur importance. Lorsqu’Hervé Jestin ajoute sept gouttes de l’une de ces substances dans le moût, il n’y a pas de hasard : “le trois c’est la trinité qui vient sur le quatre, la matière, l’esprit qui descend dans la matière”. »
L’antenne Lecher pour mesurer, pendant la vinifcation, l’équilibrage entre les énergies cosmiques et telluriques … pauvre Lecher.
Il était brillant et inventif, mais n’imaginait sans doute pas finir en gadget digne d’une revue pour enfants trop tôt disparue.

Ou alors c’est un complot ?
Possible :
« Selon Hervé Jestin, c’est une des raisons pour lesquelles toute cette législation restrictive autour de sa consommation existe. Celle-ci n’a pas seulement pour origine des motifs de santé publique : “Je pense qu’il y a des gens qui ont compris que le vin était un produit d’initiation qui permet d’accéder à des informations concernant l’être humain qu’il n’est peut-être pas bon de mettre à la portée de tout le monde.” ».
Mais, pour une fois, je suis d’accord tant il est vrai qu’à partir de 2 ou 3 g/l d’alcool dans le sang j’ai parfois accès à des informations que j’aurais préféré continuer à ignorer.

A propos de Dom Pérignon :

« En réalité, Hervé Jestin s’est “rendu compte qu’il [Dom Pérignon] faisait cela pour permettre au raisin de se charger de l’influence lunaire, et pour évaluer l’impact de cette influence lunaire sur la qualité du raisin”. Il était donc déjà parfaitement au fait des principes de la biodynamie et des mystères de la transmutation du raisin en vin qui a lieu à partir du pressurage. Celle-ci représente en effet la mort de “l’être solaire qui disparaît pour donner naissance à un être lunaire. C’est pour ça que les anciens moines ne fermentaient jamais hors sol. Toujours dans la cave.” »
Voilà : Dom Pérignon père de la biodynamie. Il ne nous manquait plus que çà …
Sinon : vinifier serait passer d’un être solaire à un être lunaire ?
Bien sûr.
C’est tellement évident !
En revanche si quelqu’un peut m’expliquer ce que « fermenter hors sol » peut bien vouloir dire, concrêtement, je suis preneur.
Simple curiosité.
Enfin, et j’en terminerais avec ceci :
« La méthode de dosage [des sulfites] a de quoi dérouter, Hervé Jestin ne s’appuie encore une fois sur aucune analyse si ce n’est les informations que lui fournit son antenne de Lecher. À noter aussi qu’il prend toujours soin de neutraliser d’un point de vue énergétique (pas sur le plan chimique), les effets des sulfites sur le vin, en ajoutant certaines substances issues de plantes dans le produit qui formeront un trait d’union avec le moût. » 

Ainsi que je le laissais entendre au début de ce billet j’en reviens à Cioran (toujours dans « Syllogisme de l’amertume ») pour finir ainsi :

« Après les métaphores, la pharmacie – C’est ainsi que s’effritent les grands sentiments. »

Je n'oublie pas de faire un amical bonjour à celui qui (il sort de beaux vins, et sans doute est-ce là l’essentiel …), à propos de remarques que je lui faisais sur Facebook au sujet de telle ou telle préparation biodynamique me rétorquait :

« Si on doit tout s’interdire, il ne restera que Facebook et les micro influenceurs qui crient à l'hystérie écologique et à l'ésoterisme qui n’existent que sur leurs étagères poussiéreuses ... »
J'ai bien conscience que si avant d’écrire ce billet j’ai nettoyé mes étagères aux livres poussiéreux, je n’en reste pas moins un micro blogueur scientiste.


Alors pour ce qui est de l’ésotérisme ambiant, chacun de mes trop rares lecteurs jugera – comme d’habitude – à l’aune de ses convictions …

(ceux que les vins de Leclerc Briant intéressent - je dis bien les vins, pas le discours - devront lire mon habituel complice : Daniel Sériot qui en parle en particulier dans ce billet)