Chroniques d’un anthropologue au Japon (22)

Publié le 03 octobre 2020 par Antropologia

Martyrs (5)

Page 19. Votre cas, Mercier, est difficile à résoudre. Nous, gendarmes, nous ne pouvons pas vous lâcher, parce que sans avoir de preuve de votre culpabilité, nous avons cependant des soupçons. Et vous Mercier vous ne pouvez pas donner de preuve que vous n’avez pas fait de l’espionnage.

A quoi je répondis : vous n’avez qu’à me croire sur parole.

Tokumoto : On ne peut pas se fier à votre parole.

Moi : Si vous n’avez pas confiance en moi, interrogez n’importe qui, catholique ou non, quelqu’un qui me connaisse et en qui vous avez confiance. Je suis sûr que personne ne m’accusera d’avoir fait de l’espionnage.

Tokumoto : que j’interroge I… O… I… (noms de trois catholiques) ils me diront que Mercier est un homme Irréprochable – rippa na otoko – mais a-t-il fait de l’espionnage nous n’en savons rien. Donc inutile de les interroger.

Mercier est aussi anthropologue. Retranscription de dialogues, utilisation de lettres à la place des noms pour protéger l’identité des protagonistes, introduction de mots japonais dans le texte pour rappeler d’abord au lecteur que le dialogue original n’est pas en français, ensuite que l’auteur est capable de comprendre et parler la langue indigène. Le père Mercier n’est pas un missionnaire de pacotilles. Il connaît son terrain.

Je remarque que la façon de procéder de la police japonaise n’aurait pas beaucoup changé en 70 ans ; selon une histoire qui m’a été contée il y a 10 ans, lors d’un repas bien arrosé de l’association des Français du Kansai à Kyoto ; par un homme de la cinquantaine, grande gueule, installé au Japon depuis longtemps, marié à une femme locale. Les japonais, il les connaissait bien, et savait comment s’y prendre pour ne pas se faire avoir, par sa femme également. Fier, il l’était, d’être membre d’une association de défense des hommes qui se faisaient « voler » leurs enfants par les japonaises. D’après lui, les femmes au Japon mentiraient souvent lorsqu’elles seraient victimes d’attouchement dans les trains. Ce ne serait pas leur faute. Elles seraient juste persuadées d’être touchées dans la foule alors que les corps ne feraient que se caresser mutuellement à cause de la promiscuité. Dans ce cas, vous risqueriez d’être emmené à la gendarmerie, et cuisiné à la manière du Père Mercier. Et bien sachez que, selon notre homme, vous feriez bien d’avouer le crime que vous n’avez pas commis, et payer une petite amende, plutôt que de nier et passer la nuit au poste. Je m’inquiète depuis qu’une jolie fille ne me dénonce, et que je doive confesser sous la torture ce que ma femme ne me pardonnerait pas. Casse-tête éthique qui me pose presque autant de tracas qu’un catholique forcé de renier la Vierge.

Rémi Brun