Etaient présents à cette conférence de presse Tony Gatlif, des acteurs Romain Duris et Lubna Azabal, et de la directrice de la photographie Céline Bozon. Dans mon souvenir elle avait été très mouvementée et assez controversée par certains journalistes algériens ou musulmans. A suivre donc les propos que j’ai recueillis pour FilmDeCulte et que vous pouvez lire dans leur version originale en cliquant ici.
- - - - - - - - - -
Question - Vous avez dit que l’Algérie n’était qu’un tremblement de terre. C’est une provocation de plus, comme cette scène où une Algérienne impose à Lubna de mettre une djellaba qu’elle ira jeter en signe de protestation devant une mosquée ou encore quand vous insinuez que les Algériens n’ont pas d’âme, qu’ils ne font que garder la mémoire des autres?
Tony Gatlif - Apparemment vous n’avez rien compris, vous prenez tout à l’envers… Quand je suis rentré en Algérie après quarante ans d’absence, c’est le tremblement de terre qui m’a accueilli. Ce n’est pas un film algérien que j’ai fait, et encore moins un film sur l’Algérie, ce n’est surtout pas ça, c’est un film français sur des enfants d’exilés qui cherchent leurs racines. Et ceci est valable pour tous les pays du monde. Je parle de ces enfants d’immigrés qui ont oublié leur langue. L’Algérie je ne la connais pas, je ne la connais que par la mémoire de ma petite enfance et celle de mon entourage. Pour en venir aux deux scènes dont vous parlez, celle de l’appartement avec toutes ces photos gardées, c’est un hommage, un respect énorme contrairement à ce que vous pensez. Je montre qu’ils sont ensemble. C’est un symbole de tolérance, de reconnaissance. On raconte des choses humaines. Quant à l’épisode de la djellaba, je peux vous dire que c’est un événement qui nous est arrivé pendant le tournage et on l’a inclus car ça faisait parti de notre histoire, de notre film. Et quand elle enlève cette robe, ce n’est pas devant une mosquée mais dans un no man’s land français. C’est le plan suivant qui montre la mosquée, il y a un cut entre les deux justement. Donc il n’y a aucune provocation ou quoi que ce soit.
Question - Dans quelle mesure avez-vous senti la nécessité d’associer ces deux retours?
Tony Gatlif - Le film parle de cette nouvelle génération qui fait partie du mixage et de la fusion des jeunes dont les parents sont de multi-nationalité. Et cette jeunesse apporte à l’Europe et à la France une richesse extraordinaire. J’avais envie de partir sur ces traces, sur ce que l’on a oublié de donner à ces enfants d’exilés. Plus on fera de films comme celui-là et plus l’Algérie avancera. Il faut dire les choses. Plus l’Algérie sera libre et plus elle se débarrassera de son héritage qui n’est pas terrible.
Question - Vous avez dit plus haut que vous avez ajouté dans le film des instants vécus lors du tournage. Y a t-il eu une concordance entre la chronologie du film et celle du tournage?
Tony Gatlif - Je ne peux pas faire de film sans fixer une chronologie qui touche au temps présent, au temps du tournage. Sinon ça n’a ni queue ni tête, ça heurte les sensibilités. Je filme ce qui existe. Je fais des films "livres"! Je prends ce qui passe devant la caméra, ce qu’il y a autour de nous. Le film s’écrit au fur et à mesure pour garder la réalité.
Question - Pouvez-vous nous parler de la scène de transe?
Tony Gatlif - Cette scène est partie de la musique qui est un mélange entre de la techno et une musique de transe traditionnelle.
Romain Duris - Moi, ce qui m’a touché dans cette scène c’est que ça s’est passé doucement. Il y a une sorte de chronologie, de déroulement. C’est touchant car il y a toute une évolution. C’est très fort comme moment pour mon personnage car il comprend enfin pourquoi il est là et ce qu’il veut réellement faire. Le plus dur avec une telle scène c’est d’arriver à se calmer ensuite.
Lubna Azabal - Moi je l’ai vécu d’une façon très particulière. C’était difficile à jouer en fait. On était réellement à 90% dedans. Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé pour moi pendant ce laps de temps, je n’ai plus trop de souvenirs. Ça a été un tourbillon, on a été aspiré Romain et moi par la musique.
Tony Gatlif - Céline (Bozon) a filmé cette scène avec un magasin de 300 mètres. Je lui avais demandé de filmer ça sans couper, en lui disant d’aller partout où elle pensait que ça pouvait être intéressant. Je pense qu’elle a pris un risque énorme.
Céline Bozon - Au bout d’un moment c’est devenu un instant hors du temps, c’était magique pour tout le monde. Mon plan préféré a été tourné juste après cette scène de la transe en fait, quand tout est fini pour les acteurs et que je continue à les filmer alors qu’ils essaient de se calmer, ils ont un regard superbe.
Tony Gatlif - Moi je contrôlais derrière avec un combo et Céline était en transe avec la caméra, sur la musique. Et je tremblais pour que le plan continue et au bout de cinq minutes j’ai compris que c’était parfait, que ce serait une scène sublime, car Céline ne faisait plus qu’un avec sa caméra.
Question - Pour la musique de la scène de transe vous avez parlé d’une touche techno en plus de la musique traditionnelle. Est-ce pour mieux toucher les non-orientaux, les Européens?
Tony Gatlif - Je voulais enlever la musique traditionnelle car dès qu’on l’entend c’est tout de suite l’image de l’Orient qui envahit les esprits, et alors la transe passe en arrière-plan. Il ne fallait pas que la musique se confonde avec le lieu, qu’elle lui ressemble. C’est pour cela que nous avons choisi cette musique occidentale binaire et non orientale ternaire.
Question - Le film laisse une fin assez ouverte. Que va t-il se passer pour eux ensuite?
Tony Gatlif - Après, ils reviennent sûrement en France avec plein de richesses et un nouveau rapport, plus simple, avec leurs origines.
Question - Pourquoi Exils au pluriel?
Tony Gatlif - Au pluriel car ce film parle en fait de tous les exils du monde. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne parle pas de l’Algérie en particulier, je ne connais pas assez ce pays pour ça. Ce film a une thématique très universelle.
Question - Avec le personnage de Zano, Exils semble être votre film le plus personnel. Comment avez-vous vécu votre propre exil et sutrout ce retour?
Tony Gatlif - J’y suis resté peu, mais j’ai trouvé une grande force dans la population qui est très jeune et qui ne demande qu’à s’ouvrir. Et j’ai trouvé dommage également que tant de gens intelligents soient partis car le pays serait encore plus riche et plus fort. Si l’Algérie s’ouvre et m’accueille, j'y reviendrai.
Question - Et votre émotion à vous dans tout ça?
Tony Gatlif - Quand j’y suis allé pour le film, c’était avec des images de cartes postales en tête. Quand je suis arrivé le premier jour à Alger, on a logé dans un hôtel devant lequel je rêvais quand j’étais petit. C’est à ce moment là que j’ai senti que j’étais devenu un étranger. Vraiment, exactement comme le personnage de Naïma dans le film.
Question - Et vous Romain, quel sentiment avez-vous éprouvé lors de ce premier voyage en Algérie?
Romain Duris - J’étais fasciné par l’ambiance. Il y avait quelque chose de très touchant et émouvant. Je ne m’attendais pas visuellement à quelque chose d’aussi fort. Et on a croisé des personnes très agréables. Alger est une ville qui ne demande qu’à s’ouvrir…
Question - Ce film a un côté physique incroyable. Quel est votre secret pour filmer aussi bien les corps?
Tony Gatlif - C’est dans mon regard. Au départ, il y a une interrogation sur comment filmer les choses. Pour moi ce qui compte, c’est la peau. Pour en voir les cicatrices, la texture. Puis il y a la matière en elle-même aussi. La caméra est là et filme les matières qui passent devant elle. La façon dont je filme n’est qu’une histoire de matière.
Vous avez aimé ce billet? Abonnez vous à mon flux RSS