« Mes jours neigent vainement
Ils ne couvrent pas la plaine »
(H.T)
1.
10 mai 2020.- Deux averses (23°C). Le trop fameuse guerre ente « Slaves du sud » faisant rage Teodor Ceric quitte Sarajevo en 1992. Il baguenaude à travers l'Europe pendant sept ans, fait des choses et d’autres et surtout découvre quelques beaux jardins oubliés loin du fracas et des tumultes. C'est ce qui est raconté dans Jardins en temps de guerre un court opuscule où l'on passe du jardin de Derek Jarman (dans une lande désolée, face à une centrale nucléaire), à celui de Beckett (étonnant à force de banalité), du Prosper Cottage à Londres au Monte Caprino de Rome. Le livre est tout aussi mince qu’il est délicat, il vous agrippe benoîtement par son bel amour de la nature et son bel oubli des diverses lourdeurs du monde et pour ceux qui aiment les jardins, c'est mon cas, il se laisse lire avec un soupçon de félicité. En parlant de félicité, les maximes et autres aphorismes d'Henri de Régnier en sont pleins. Tenez dans un genre Cioran avant l'heure légale, Schopenhauer aux pieds légers et à longue moustache : « Il y a lieu d'être content de n'être rien quand on voit ce que deviennent ceux qui veulent être quelque chose ».
11 mai 2020.- Averses parcimonieuses (21°C). Déconfinement. Ah bon ? On s'en fiche! Connaissance de l'Est fin sublime, la voilà, merci Claudel : « Et je suis de nouveau reporté sur la mer indifférente et liquide. Quand je serai mort, on ne me fera plus souffrir. Quand je serai enterré entre mon père et ma mère, on ne me fera plus souffrir. On ne se rira plus de ce cœur trop aimant. Dans l’intérieur de la terre se dissoudra le sacrement de mon corps, mais mon âme, pareille au cri le plus perçant, reposera dans le sein d’Abraham. Maintenant tout est dissous, et d’un œil appesanti je cherche en vain autour de moi et le pays habituel à la route ferme sous mon pas et ce visage cruel. Le ciel n’est plus que de la brume et l’espace de l’eau. Tu le vois, tout est dissous et je chercherais en vain autour de moi trait ou forme. Rien, pour horizon, que la cessation de la couleur la plus foncée. La matière de tout est rassemblée en une seule eau, pareille à celle de ces larmes que je sens qui coulent sur ma joue. Sa voix, pareille à celle du sommeil quand il souffle de ce qu’il y a de plus sourd à l’espoir en nous. J’aurais beau chercher, je ne trouve plus rien hors de moi, ni ce pays qui fut mon séjour, ni ce visage beaucoup aimé ».
12 mai 2020.- Temps maussade, chute des températures (12°C). Le 15 juillet 1968 Paul Morand ouvre la radio : « 47 beatniks arrêtés », cette information est suivie par une publicité pour un « déodorant corporel ». Voilà, je suis bien dans le Journal Inutile. Rien d'autre.
14 mai 2020.- Ressac hivernal (11°C). La rumeur du déconfinement enfle, je valse dans l'aporétique.
15 mai 2020.- Nuages et fraîcheur, appétence automnale (13°C). Ça « déconfine » sec, je suis morose. Cioran, Cahiers, rien d’autre : « La mélancolie peut à elle seule occuper et combler toute une vie ».
16 mai 2020.- Du soleil, plutôt (20°C). Achevé la petite chose de Teodor Ceric commencée la semaine dernière. Rien de vraiment crucial, mais du charme et la preuve que les jardins sont parfois des œuvres d’art pouvant regarder la peinture ou la littérature dans les yeux. Ma paresse intellectuelle rejoignant ma paresse physiologique j’entame L'Affaire Pélican nouveau pudding hypocalorique de John Grisham. C’est très bien décrit et mal écrit (ou mal traduit ?), concédant tout aux mécaniques de l’intrigue. Guerre d’ennui. Rien (ou presque) : Les gondoliers rechantent d’endiablées barcarolles. Venise n’est plus confinée.
17 mai 2020.- Soleil et vent (21°C). Chez John Grisham La Nouvelle Orléans est une ville réelle et quasi palpable et c’est très bien ainsi. Chez James Lee Burke c’est une abstraction poétique provinciale et on sent bien que le bayou est mieux. Vous allez me dire que cette vague considération sur la géographie urbaine n’est pas foncièrement intéressante, mais c’est tout ce qui m’est monté au cogito en dévorant l’Affaire Pélican, un livre qui s’adresse plus à l’estomac du lecteur qu’à son cerveau.
18 mai 2020.- Ciel IKB, la tiédeur monte (23°C). La mort est une drôle de chose, celle de Michel Piccoli aura été annoncée avec une semaine de retard. On se souviendra du chapeau de Dean Martin (et des fesses de Bardot), d’un sourire « carnassier » et d’un type élégant en tout. Dans le Journal de Galey la mort est aussi une drôle de chose. Morand pris d’un malaise cardiaque rentre tout seul chez lui au volant de sa voiture. On l’emmène ensuite à l’hôpital Necker où il trépasse d’une façon parfaitement rectiligne. Le cadavre de l'elfe lubrique Jouhandeau est quant à lui d’une blancheur tonitruante, un ivoire christique. Un curieux cénacle de cousines, nièces et jeunes gens tourne autour. Seule la bonne pleure. Autrement pour rester chez les trépassés Ian Curtis s’est pendu il y 14610 jours, 2088 semaines, 480 mois, 40 ans, 4 décades, le 18 mai 1980.
21 mai 2020.- Journée follement estivale (30°C). Cinq chapitres de l’Affaire Pélican (efficacité de John Grisham), deux épisodes de Curb Your Enthusiasm (génie de Larry David), taille de mes haies (joies du jardinage).
22 mai 2020.- Chaleur (32°C). Ce vague journal de lecture me fatigue et m’ennuie. Il faudrait peut-être que je le fasse encore plus basculer du côté du télégraphique, du non-style absolu et, allez savoir , dans cette « magie du mot juste » cher à Baudelaire. En attendant dans ses Cahiers Cioran rappelle que sans tabac et café, ses combustibles, il n’aurait certainement jamais rien écrit (et en tous les cas en français). Non-style, mot juste et combustible, voilà donc la solution. Par ailleurs, les chaleurs enflant, irrésistible retour du pantacourt.
23 mai 2020.- Averses, chute des températures extérieures. Aurais-je ressorti mon pantacourt trop tôt ? (14°C). Ce matin après trois mois de confinement visite chez le coiffeur. Travail considérable pour mon « artiste capillaire » qui cependant n'a pas perdu la main (la langue non plus, il parle toujours autant). Cet après-midi fini l'Affaire Pélican de Grisham. Dans la foulée vu l’adaptation cinématographique. Trois belles scènes de paranoïa typiques de Pakula, le reste est un peu languissant. Denzel Washington pas mal, Julia Roberts plus que pas mal.
24 mai 2020.- Soleil et douceur (21°C). Lu Street Life (Joseph Mitchell). Trois courts textes, ou plutôt trois ébauches pour le New Yorker, pas plus de cinquante pages, c’est tout ce que Mitchell, frappé par une persistante aphasie littéraire, aura écrit en trente ans. Le premier texte consacré à New York mélange autobiographie, topographie et dérive urbaine et vire pour ainsi dire à la Psychogeographie sans le savoir… il est magnifique. Les deux autres textes où Mitchell se souvient de son enfance en Caroline du Nord sont quant à eux plus que magnifiques… ils sont splendides ! Superbe description de la nature et du Sud plus ou moins profond, phrases charnues qui s’autorisent longueur, scansion et répétition. Lisant tout cela (un tout cela trop court), on en viendrai presque à espérer que d’autres inédits de l’animal viennent à réémerger comme par miracle (on parle d’un journal intime) : « Ce que j’aime vraiment faire c’est errer sans but dans la ville. J’aime marcher dans les rues le jour et la nuit. C’est plus qu’aimer ça, de simplement aimer ça – c’est une aberration. De temps à autre, par exemple vers neuf heures le matin, je monte les marches du métro et je prends la direction de l’immeuble de bureaux du centre de Manhattan où je travaille, mais en chemin un changement se fait en moi – je perds effectivement le sens des responsabilités – et quand j’atteins l’entrée de l’immeuble je passe devant comme si je ne l’avais jamais vu auparavant. Je continue à marcher parfois seulement pendant une heure ou deux, mais d’autres fois jusque tard dans l’après-midi, et je me retrouve souvent emporté à une distance considérable du centre de Manhattan – peut-être au nord du Bronx Terminal Market, ou au-delà sur de vieux quais à sucre délabrés des berges de Brooklyn, ou dans la partie la plus herbeuse d’un vieux cimetière envahi par les mauvaises herbes de Queens. Cela ne m’est jamais vraiment difficile de trouver une excuse pour justifier mon comportement... »
2.
26 mai 2020.- Vent et soleil (24°C). Picoré chez Paul Valéry (Pléiade Tome 1, replet volume chapardé je ne sais plus où). C’est toujours un peu foufou, Valéry est encore jeune, souvent génial et plein de fulgurances poétiques comme on en rencontre peu : « L’oiseau frémit, bondit, abandonne instantanément sa présence sur une branche et l’emporte. Il ravit avec soi un centre du « monde », et le vole poser ailleurs. (Je ne sais s’il choisit ou non la branche d’arrivée.) »
28 mai 2020.-Soleil (25°C). Journée bien inutile.
29 mai 2020.- Beau temps chaud (26°C). Vaseux, vaguement malade, le virus ? Retour dans le Journal de Mathieu Galey. Cet art du portrait, mais le reste ? La morne litanie des amants de passage, les sinistres manigances autour du Prix Goncourt, quel est l’intérêt de tout ça ?
Rien (ou presque) : A/ Prague le 6 novembre 1910. Paul Claudel consul de France assiste à une conférence sur Musset donnée par une certaine Madame Chenu. Franz Kafka présent lui-aussi dans la salle constate que la conférencière laisse bizarrement claquer sa langue et ennuie l’assistance tandis que le consul Claudel est quant à lui pourvu d’un fort large visage qui recueille et réfléchit l’éclat de ses beaux yeux. Tout cela est consigné dans le fameux Journal de notre choucas tchèque préféré : « il (Claudel) ne cesse de vouloir prendre congé, il y parvient d’ailleurs en particulier mais pas en général, car dès qu’il a pris congé d’une personne une autre personne se présente, derrière laquelle se range à nouveau celle dont il vient de prendre congé... » B / Tout le monde se fiche des dessins de Franz Kafka, des romans de Felix Vallotton ou de Charles Mingus au piano. C'est un tort ce sont parfois, souvent, les « non-spécialistes » qui ont raison.
30 mai 2020.- Ciel monochrome (25°C). Le soleil là il faisait un peu trop chaud alors j’ai pris l’initiative de déplacer ma fidèle chaise de lecture dans un endroit plus tempéré, à l’ombre, à l’abri des vagues tiédeurs naissantes où j’ai tranquillement entamé le Monsieur Spleen de Bernard Quiriny. Ce n’est pas à proprement parler une biographie d’Henri de Régnier, mais plutôt une suite de notes tournicotant autour de cette figure un peu oubliée du symbolisme… Je n’irai pas par quatre sentiers, lumineux ou pas, c’est tout à fait épatant et sautillant en diable. Quiriny dresse un portrait très informé de ce grand mélancolique devant l’éternel qu’était Régnier. Il raconte parfaitement ses débuts, la fréquentation de Mallarmé, de Verlaine (qui finalement le répugne), son mariage avec Marie de Hérédia qui fera de lui le plus grand cocu des lettres françaises (elle le trompera avec Pierre Louÿs, Henri Bernstein, D'Annunzio, Georgie Raoul-Duval, Edmond Jaloux, Jean Louis Voudoyer, le club des longues moustaches tout entier !), sa façon de porter le monocle, sa tristesse et son flegme, son obsession du passé sa fascination pour les galanteries du XVIIIe siècle , et du côté des mots, ses romans historiques où l’on se débat dans des décors dignes de Watteau, ses contes fantastiques qu’il écrivait par distraction comme on fait des mots croisés et puis il y ces cahiers, ce journal intime qu’il tiendra pendant plus de cinquante ans, ce journal intime où l’on peu lire des choses comme celle-ci : « Hier, me promenant dans Paris à travers un imperceptible brouillard qui semblait suinter des vêtements et nécessitait un parapluie, j’ai eu, en descendant la rue de Clichy, un moment à m’étonner de ce que j’y faisais. Pourquoi errer ainsi par les rues, pourquoi être ainsi quelque part dans l’espace et dans le temps ? Et le fait de vivre m’est apparu dans son inutilité et son ridicule. »
31 mai 2020.- Sunny day (26°C). Matin : dans son Monsieur Spleen rappelle que Régnier et les gens de son espèce se croient nés dans une mauvaise époque, qu’ils se sentiraient d’ailleurs déplacés dans n’importe quelle époque : « - en bonne logique, il leur aurait fallu naître au commencement du monde, quand il n’y avait pas encore de passé. Mais aussi, sans passé après quoi soupirer, ils ne vivraient plus, car la nostalgie est leur moteur ». Quelques pages plus loin Quiriny n’oublie pas de saluer Pierre de Régnier, ce rejeton reconnu, le fils naturel de Pierre Louys, féru de vie nocturne, d’alcool et de femmes. Il ne vivra pas bien vieux, mais il aura eu le temps d’écrire quelques chroniques qui tiennent encore admirablement la route, et puis il y a ses poèmes leur goût moderne année 30, l’inverse de ce qu’aurait pu écrire son père : « J’ai mangé du Guerlain tout autour de ta bouche /Et j’ai bu la luxure au fond de tes yeux noirs ». Après-midi : grands travaux, repeint un bout de cuisine, résultat mitigé, une seconde couche s’impose.
1er juin 2020.- Journée estivale (27°C). Fini le Monsieur Spleen de Quiriny, vraiment très bien. Poursuivi mes aventures lectorales avec le Parcours du Haut-Rhône une merveille de l’entité helvétique Cingria. As usual coq à l’âne et digressions, en surplus de magnifiques illustrations de Paul Monnier. Par ailleurs, continué mes activités bricoleuses, après une seconde couche de peinture ma cuisine est moins effrayante qu’hier, j’envisage une troisième couche.
2 juin 2020. Amorce caniculaire (31°C). Labeur, fatigue, nothing else.
4 juin 2020.- Un orage (22°C). Lever 5H00, labeur, fatigue, sieste, Cioran, Cahiers : « L’anxiété est signe de vie ; c’est elle qui nous maintient dans le temps ; qui nous permet de nous y affirmer. S’en défaire, la bannir de notre conscience, c’est se priver du meilleur auxiliaire que nous ayons dans les conflits de tous les jours ».
5 juin 2020.- Baisse des températures (18°C). Solide ennui.
6 juin 2020.- Temps maussade et doux (23°C). Guère d'entrain. Un peu de bricolage, fini le Parcours du Haut-Rhône de l'ami Cingria, entamé L’humoriste soixante-dix-huit courts textes de Georges Picard qui pour la forme pourraient ressembler aux historiettes de Robert Walser ou de Peter Altenberg. Ce que j’en ai est lu est pour l’instant un peu drôle, pas toujours transcendant et pour tout dire un peu ennuyeux.
7 juin 2020.- Ciel globalement nuageux (20°C). Bricolage, jardinage. L’humoriste de Picard est un peu terne, cependant une phrase m’aura fait sourire : « Quand il parle, on aimerait être Bulgare pour ne pas le comprendre ».
9 juin 2020.- Ciel gris suicide (14°C). Rien.
10 juin 2020. Météo patibulaire (19°C). Étant assez grand et apparemment un peu costaud on me prend souvent et de prime abord pour une brute épaisse voire pire en mieux pour un idiot congénital. Je suis donc un peu stigmatisé moi aussi. Par ailleurs, vous aurez certainement constaté que la qualité de ce vague journal de lecture baisse sensiblement. C'est ainsi, je n'y suis plus et n'y peux rien, ou presque.
11 juin 2020.- Climat un peu trop nuageux pour être honnête, cependant vague tiédeur (23°C).Lever 3H00 (ce qui est bien tôt), labeur (soulevé une quantité non raisonnable de produits manufacturés en République populaire de Chine), sieste (corrélative à l’effort évoqué dans la parenthèse précédente). Vous conviendrez aisément qu’après tout cela mon cogito soit en berne et mes velléités de lecture encore plus. Nouvelles acquisitions : Claude Lucas – Suerte, Theodor Fontane – Cécile, George Grossmith - Journal d'un homme sans importance, Sacher-Masoch - Écrits autobiographiques, Jean Paul – Pensées.
12 juin 2020.- Orages (17°C). Tædium vitæ partout, sautillement nulle part.
13 juin 2020.- Nuages (21°C). Déception, l’Humoriste de Picard m’est tombé des mains. Impression de perdre mon temps alors qu’il y a tellement d’autres livres à lire (et d’autres choses à faire : jardiner, bricoler, faire la sieste).
3.
14 juin 2020.- Ciel globalement ensoleillé (23°C). rempoté quelques géraniums et patiences, taillé d’autres babioles d’essence aisément végétale. Lu Histoires d’images un fond de tiroir où l’ami Walser tournicote autour de Renoir, Daumier, Beardsley ou Fragonard. Rien de bien scientifique, nous sommes loin de l’iconographie et d’Erwin Panofsky, Walser aborde la peinture avec ses armes qui comme chacun le sait sont très légères. Poésie, entrain sautillant, espièglerie, émotion pour tout dire : « Les aquarelles sont comme de petites pièces pour piano, par exemple des sonates.Je viens d’en entendre une en esprit.
Je suis tellement musicien que je peux tout à fait me passer d’écouter de la musique.
Ça chante en moi continuellement, vous pouvez me croire.
Et puis, achetez donc un petit tableau au peintre, pour l’amour de moi.
Je vous en prie.
Le rêve de l’artiste est si lourd et si riche.
Les civilisations chantent et l’humanité saute, enfantine, en reprenant son souffle très haut. » ou encore ( à propos d’Aubrey Beardsley) : « C’est sympathique de parler de quelqu’un qui n’est pas dans toutes les conversations. En le faisant, on a l’impression d’être subtil. »
15 juin 2020.- Quasi beau temps (23°C). Malgré une paresse intellectuelle plus que tangible becqueté quelques pensées de Jean-Paul (Richter), voilà un « bougre » qui déçoit rarement : « Les joies deviennent souvent, comme les autres choses précieuses, des poisons mécaniques, qui ne brillent que dans l’éloignement, mais qui nous coupent et nous déchirent dès qu’on les touche ou qu’on les avale. »
16 juin 2020.- Soleil voilé (23°C). Le pays part à vau-l'eau, je fais la sieste.
18 juin 2020.- Le soleil est là derrière les nuages, mais il tarde à percer (23°C). Les oiseaux chantent, mes géraniums rigolent, je lis Sur le Chichi et le Blabla de Frédéric Schiffter un philosophe presque aussi beau que Bernard-Henri Lévy, mais qui lui prend la vie dans le sens de la langueur (je ne m’étendrai pas plus que ça sur l’ordre du blabla et l’ordre du chichi, sachez simplement que le premier est là pour estourbir la méfiance et l’esprit critique tandis que le second est là pour dévaluer l’existence réelle au profit de l’essence). Par ailleurs, et pour rester un tantinet planté dans de beaux arpents philosophiques, cette merveille pêchée chez Jean-Paul (Richter) : « La plus commune et la plus dangereuse de toutes les illusions est de croire que l’on a seul observé certaines choses ».
20 juin 2020.- Soleil partiel, étrange sensation de chaleur alors que la température n’est pas si haute que ça (24°C). Sur les conseils de quelques amis, j’ai essayé de lire Métamorphoses, un petit machin à goût philosophique façonné par un certain Emanuele Coccia. Écriture inclusive, suspicion prononcée de « peluchisme aiguë » , j’ai tenu quinze pages, les conseils de nos amis ne sont pas toujours bons. Comme par vengeance je me suis rabattu sur John Le Carré et son nouveau roman Retour de service. Le Carré est un progressiste à l’ancienne et il ne lui viendrait jamais à l’esprit de boulotter sa petite affaire en utilisant l’écriture inclusive (enfin je ne l’imagine pas commencer une carrière de moraliste pelucheux à 88 ans). C’est pour l’instant parfait. Un espion vieillissant adepte du badminton (en somme, un badiste), Trump et le Breixit, des Russes en sourdine, de l’humour et aucune trace de catéchisme. C’est très bien écrit et donc sûrement bien traduit.
22 juin 2020.-Goût estival (26°C). Un litanie autotunée vantant les mérites des pratiques contre nature envers les forces de l’ordre (il était aussi question de « niquer » des mères, ce qui ne se fait pas) s’échappant par les fenêtres de l’un de mes voisins mélomanes cet après-midi les conditions lectorales frôlèrent les rivages du problématique. Pour preuve malgré une somme d'effort d'efforts pour le moins quantifiable je n’ai pu finir la lecture du Sur le blabla et le chichi de Schiffter. En lieu et place, et avec un petit sourire sardonique au coin du nez, j’ai envoyé les contres mesures qui ont pris la forme un soupçon tapageuse de Dopesmoker magnum opus du combo doom metal californien Sleep. Les oreilles de mes voisins on certainement saignées, mais que voulez-vous CHACUN SES GOUTS ! Rien (ou presque) : Philosopher c’est constater qu’il y quelque chose plutôt que rien (ou l'inverse). Le reste...
23 juin 2020.- Tiédeur en amorce (29°C). Comme le dis si bien le camarade Voltaire « le secret d’ennuyer, c’est de vouloir tout dire ». Je n’en dirai donc pas plus.
25 juin 2020.- Amorce caniculaire (34°C). Lever 5h00, labeur (de plus en plus sinistre), sieste, rien lu, trop las pour être là avec les maux et mots des autres. Rien (ou presque) : Je sais pertinemment que c'est ce qui les sauvera, mais j'ai toujours beaucoup de peine à couper les fleurs fanées de mes géraniums.
26 juin 2020.- Temps plutôt ensoleillé, mais virant à l'orageux (30°C). Lu une longue et épatante interview de Jean Pierre Dionnet sur Internet. Elle m'a donné l'envie de lire les mémoires du bonhomme. Comme les choses sont bien faites, je les ai en stock là au beau milieu de ma pile de livres à lire. Du côté des bonnes nouvelles : congés pour trois semaines, je respire.
27 juin 2020.- Vague tiédeur (31°C). Le Retour de service de John Le Carré est écrit avec une souplesse de jeune homme. C’est bien simple entre agents doubles, agents triples et badistes en goguette on y sautillerait presque. Pour le reste, conditions lectorales épouvantables, voisin guitariste, marmaille en furie, perceuses et marteaux, déménagement limitrophe, rien ne m’aura été épargné.
28 juin 2020.- Ciel plombé mais qui ne craque pas, l'orage n'est pas encore là (28°C). Grande maussaderie, je n'y suis pas. De surcroit, petite déception le Retour de service de Le Carré s'achève dans la facilité d'une queue de poisson qui ne fait même pas semblant de se cacher. Un peu comme si le vieux grigou du Dorset avait trop vite fait le tour de son histoire et qu'il voulait en finir le plus tôt possible par peur de s'ennuyer (à 88 ans l'ennui peut être un poison mortel). Demain je compte entamer le troisième tome du Manifeste incertain de Frédérik Pajak. J'imagine qu'il sera aussi bon que les deux tomes précédents.
29 juin 2020.- Du soleil, quelques nuages, une vague touffeur (28°C). Boulotté le tome trois du Manifeste Incertain en moins de quatre heures. C’est toujours très bon, pour tout dire épatant et dans ce troisième volume on peut même dire que le projet prend des teintes bouleversantes. Pajak raconte et dessine la fin de Walter Benjamin avec une économie de moyen qui n'oublie pas d'être vibrante (chacun connaît la fin de Benjamin, suicidé à Port-Bou, elle est bouleversante). Parallèlement, il évoque Ezra Pound, ses délires fascistoïdes, sont arrestation par les troupes américaines, sa détention dans une cage en plein air, le salut fasciste qu’il ferra en rentrant sur le port de Naples après treize ans d’internement psychiatrique (je ne referai pas l’histoire vous connaissez Ezra Pound aussi bien que moi). Le parallèle entre Benjamin et Pound pourrait être un peu plaqué, il ne l’est pas. Les bribes autobiographiques que Pajak embarque avec lui ne trahissent jamais le fond de son projet, les dessins sont magnifiques. Bref, l'ensemble est parfait.
To be continued.