Entretiens sur l’Art et la Culture, retour sur Armatures d’Hervé Beuze, dans le jardin des sculptures de la Fondation Clément
Publié le 30 septembre 2020 par Aicasc
@aica_sc
Hervé Beuze, Armatures, jardin des sculptures de la Fondation Clément, photo @JB Barre, courtoisie du photographe
La première rencontre de la série Entretiens sur l’art et la culture de l’AICA-SC en Martinique s’est déroulée le dimanche 20 septembre dans le jardin des sculptures de la Fondation Clément, avec l’artiste martiniquais Hervé Beuze autour de son œuvre Armatures installée dans le jardin en 2019.
Entretiens sur l’art et la culture, dans le cadres des JEP, le 20 septembre 2020. Jardin des sculptures, Fondation Clément. Photo @JB Barret, courtoisie du photographe
Réunis autour de l’œuvre d’Hervé Beuze, nous avons fait part du souhait de l’AICA-SC d’aller à la rencontre du public et parler d’art et de culture sur la place publique, afin de décloisonner la critique d’art, en prenant part dans les discussions qui animent la société actuelle sur l’art, la mémoire et l’histoire. Nous remercions la Fondation Clément de nous avoir offert l’opportunité de le faire pendant les Journées Européennes du Patrimoine.
Hervé Beuze est né en Martinique en 1970. Ancien élève de l’école d’art visuels de Martinique, il est actuellement enseignant dans cette même école. Un sculpteur qui a une prédilection très marquée pour le métal mais travaille également toute sorte d’autre matériau, faisant beaucoup de récupération et du détournement d’objets, ce qui est une constante chez des artistes caribéens. Très connu pour ses installations, il créé souvent pour la place publique, ayant posé des sculptures pérennes sur quelques communes de l’île, et ayant confectionné pendant quelques années le « vaval » (ces sortes d’immenses poupées qu’on promène dans les rues lors du carnaval de Martinique et que l’on brule le mercredi de cendres) de Fort de France..
Hervé Beuze a souligné la nécessité pour lui d’implanter ce couple, Armatures, sur le site patrimonial de la Fondation Clément, pour en quelque sorte compléter le discours mémorial du site, dont l’humain, et spécialement les esclavisés lui semblaient absents jusqu’à présent. Sur le plan formel, l’artiste a évoqué la structure filaire – une structure en fil de fer qui est le mode de construction courant des « vavals » et qu’il utilise aussi fréquemment pour ses autres œuvres, préférant en général laisser nue la structure, comme un vaval qui aurait brulé et dont il ne resterait plus que la structure de base.
Entretiens dans le jardin des sculptures de la Fondation Clément, en premier plan Armatures d Hervé Beuze. photo@JB Barret, courtoisie du photographe
Sa création tourne souvent autour de l’histoire et la mémoire, préoccupation qu’il a exprimée dans sa première exposition à la Fondation Clément par une cartographie sensible et inventée. Au long des années il a centré son intérêt sur le seul territoire dont il pense que l’antillais dispose véritablement : son propre corps. Armatures a donc un lien formel avec les valvals et un lien symbolique avec l’histoire et la mémoire. Elle a aussi été précédée par une autre installation de figures à taille surhumaine, l’installation Blo-Gorée, qu’il a produit en résidence pour le Musée Dapper sur l’île de la Gorée. C’était une installation-procession avec une structure qui rappelait la coque d’un bateau et quelques personnages de plus de 3 mètres de hauteur, précurseurs des couples qu’il allait installer quelques années plus tard dans une des salles d’exposition de la Fondation Clément. L’installation-exposition à la Fondation Clément s’appelait Armature, et incluait six couples monumentaux qui représentaient pour l’artiste, divers blocages liés à des moments historiques : Genèse, Liberté, Résilience, Digenèse, Fleur-fleur et Connected. De ces couples, un seul ne parlait pas de blocage mais plutôt, en quelque sorte de sa résolution : le couple Fleur-fleur. Ce couple était à la fois similaire et différent des autres. Comme les autres, il était moulé sur le corps de l’artiste et d’une étudiante du campus caribéen des arts. Comme chacun des autres il avait un petit signe distinctif : il était enveloppé dans quelques très grandes pétales. Différemment des autres sa structure filaire à lui était en cuivre, les fils arrondis lui donnant un petit aspect sanguin. C’est ce couple-là qui a été transposé dans les jardins, après quelques adaptations. Il représentait déjà dans l’exposition Armature, la transmutation du fumier de l’histoire en fleur. Renommé Armatures et installé dans le jardin de la Fondation Clément il permet à l’artiste évoquer sans ambiguïté possible les hommes et les femmes qui ont fait la richesse de ce lieu. Hommes et femmes réduits en esclavage mais hommes et femmes debout, comme on dit aux Antilles et comme l’artiste les avait déjà représentés dans une de ses œuvres peintes intitulée Esclavage, crime contre l’humanité de 1989, entrée depuis dans la Collection de la CTM. Sur cette œuvre il avait inversé l’image, qu’on voit souvent de la traite, des esclavisés couchés dans la cale du bateau pour les présenter à la verticale, position dans laquelle les esclavisés résistèrent, survécurent, s’agrippèrent à la terre et conquirent leur liberté aux Antilles.
Le public arrive les sculptures semblent partir. Herve Beuze, Armatures, jardin des sculptures de la Fondation Clément, photo @JB Barret, courtoisie du photographe
Questionné par Sophie D’Ingianni sur les aspects techniques de sa création, à savoir comment travaillait-il ses sculptures monumentales, s’il avait eu recours à la 3D ou à l’informatique pour les concevoir, quels sont les matériaux utilisés, la hauteur des œuvres, la raison du choix de la couleur rouge et s’il avait utilisé un modèle pour l’œuvre – l’artiste nous a livré son processus de création. Il est parti d’une reproduction en papier de son propre corps et de celui du modèle de la femme. Il a ensuite dessiné à main levée sur ces moulages, la position que les structures en métaux devaient prendre. Cela était suffisant pour les sculptures éphémères présentées dans la salle d’exposition en 2016, mais pour le jardin, il a fallu refaire avec des matériaux homologués pour sécuriser leur présence dans un espace ouvert et soumis aux intempéries. Un atelier de construction naval de Fort de France a été chargé sous la direction de l’artiste de réaliser les nouvelles sculptures sur le modèle des anciennes. Elles sont donc légèrement plus grandes et nettement plus lourdes aussi que les originaux, car le matériau utilisé maintenant est de l’acier rond lisse plein, alors qu’auparavant l’artiste avait utilisé du cuivre pour Fleur-fleur et de l’acier souple pour les cinq autres couples. La couleur rouge évoque le réseau sanguin, mais aussi peut être la chair martyrisée, et surtout étant complémentaire avec le vert, s’imposait presque dans le jardin.
Entretiens sur l’art et la culture, jardin des sculptures. Fondation Clément 20 septembre 2020. Photo @JB Barret, courtoisie du photographe.
Les questions du public ont permis à l’artiste d’évoquer le fait que la sculpture représente un couple, qui traduit pour l’artiste l’universalité de l’humain comme l’avait représenté Da Vinci, comme l’avait fait la NASA en envoyant dans l’espace le dessin d’un couple pour figurer l’humanité. Mais aussi si ce couple regardait la même direction ou s’entre-regardait et encore leur position particulière, évoquant pour l’artiste la marche, comme dans l’Homme qui marche de Giacometti.
Hervé Beuze, Armatures, 2019 – entretiens sur l’art et la culture 20 septembre 2020. Jardin des sculptures de la Fondation Clément. Photo @JB Barret, courtoisie du photographe
Le prochain rendez-vous est donné le dimanche 18 octobre à 10h00 devant la Porte du Tricentenaire avec les experts Elisabeth Landi, historienne, et Christelle Lozère, historienne de l’art, pour parler de la Porte, des exhibitions coloniales, de la politique culturelle de Césaire et de l’œuvre de Réné Khokho Corail.
Matilde dos Santos
*grand merci à Jean-Baptiste Barret pour les photos magnifiques.