Sous la nouvelle marque unificatrice Sber, les activités financières – dont les différentes branches sont rebaptisées par la même occasion – cohabitent désormais avec un univers entièrement différent, comprenant un assistant virtuel aux trois personnalités distinctes, un combiné écran-enceinte intelligent, un appareil de diffusion (streaming) vidéo, une plate-forme de stockage de données personnelles dans le cloud, un service d'abonnement universel (musique, cinéma, livraison de courses…)…
Esquissée au fil de ses évolutions récentes, notamment à travers le développement de son propre super-ordinateur, la réorientation de l'établissement annoncée aujourd'hui est le fruit d'une stratégie mûrement réfléchie, élaborée à la suite du constat de l'inexorable dissolution du contact de la banque (dans son sens générique) avec ses clients, au profit des acteurs qui leur procurent les expériences qu'ils désirent, au sein desquelles la composante financière n'est qu'un moyen pour atteindre un objectif supérieur.
Concrètement, son directeur technique explique que Sber ne veut pas se résoudre à la perte de contrôle qu'engendrent, par exemple, les interfaces proposées par les géants du web (Siri par Apple, Alexa par Amazon…). La crainte est que ces intermédiaires tout-puissants s'emparent de la relation avec les consommateurs, ne laissant de la sorte aux spécialistes qu'un rôle ingrat de producteur industriel, dans leur ombre. La seule solution envisageable pour résister serait alors de se positionner en amont de la chaîne.
Sans l'affirmer directement, l'entreprise veut devenir le prochain GAFA – surtout après la fin de sa collaboration historique avec Yandex, engagé dans l'acquisition de Tinkoff –, point de focalisation incontournable pour les internautes et mobinautes russes (il n'est pas question d'expansion internationale, à ce stade). Dans une telle vision, la banque prend alors sa place naturelle de facilitatrice invisible, renforcée par une connaissance de ses clients approfondie grâce aux données captées sur toute leur vie « digitale ».
La peur de la désintermédiation qui motive l'initiative de Sberbank est partagée par une majorité d'institutions financières à travers le monde, mais elle est une des premières – voire la première – à prendre le taureau par les cornes. La méthode retenue peut certes paraître extrême et rien ne garantit son succès (ne bâtit pas Amazon qui veut !), mais existe-t-il une autre voie possible pour qui refuse de confier à des tiers le soin d'intégrer ses services au cœur des parcours qui comptent réellement pour ses clients ?