Juliane foudroyée
Par une méningite.
Au crématorium
Pas loin de 300 personnes
Et une atmosphère de deuil,
De tristesse et de stupeur
Palpable
A son âge j’envisageais
Mes funérailles avec
si je peux dire
Un brin d’optimisme
Je dénombrais pas moins de
200 personnes susceptibles
De s’y rendre
La famille au grand complet et
Les amis
Oraison funèbre en tous points
élogieuse
Des larmes et des chuchotements
laudatifs
Ah quel beau caractère ce jeune défunt avait-il!
Lacrimosa – Requiem de Mozart
Ton Koopman à la direction
De l’orchestre philharmonique d’Amsterdam!
Journée de recueillement clôturée
Par une salve de verres de vin
Enquillées en mon honneur!
Ce n’est pas qu’il me tardait d’y passer
Mais l’idée d’une journée pareille
Que j’imaginais ensoleillée
Et qui m’était entièrement consacrée
Ne m’était pas désagréable
A présent mes pronostics
Les plus optimistes
me laissent envisager
Un enterrement drôlement pénible!
Toute une vie est passée
Et ma réputation faite
Il n’y aura pas foule
Derrière le corbillard!
Allez 30 personnes?
Et pas de compliments unanimes
D’évanouissements
Et de veuve éplorée.
Une journée de corvée
Une journée de pesanteur
pluvieuse
Sans grâce
et sans musique
Peut-être quelques
larmes timides
Et à ce jour très hypothétiques
Contiendront-elles, la mine réjouie
De ceux qui penseront
« il est enfin clamsé le vieux cochon! »
Ce qui restera de moi
Y sera indifférent
Ce qui restera de moi
Sera froid, inanimé
les couilles ratatinées
Et sapé comme un prince
Ça oui!
Je me demande quand même
Quelle aura été ma dernière femme ?
Mon dernier film?
Mon dernier livre?
Mon dernier verre ?
Et que mes derniers mots soient
Aussi ironiques et dignes que
« quelle blague!
Je n’ai même pas eu le temps
De beaucoup m’amuser! »!
Tout à l’heure pourtant
Ça fera comme la mort
La feuille blanche
Entêtante
Et inexorablement vierge
Les raillements du merle
L’âme fendue et le corps
Traversé par la rumeur sourde
des inquisiteurs,
Foudroyé et figé même.
Ça fera comme la mort
Cet effondrement sur
La page blanche
Indéfiniment maculée
Du verbe de génies
Que j’ai plagié et contrefait.
Morts assurément eux
Et « travaillés par le ver »
Mais quand même…
Ils ont bien eu droit à
leur clause de postérité cosignée
Par le diable
Ou par des Dieux
Injustes.
Alors c’est bien à moitié vivre
Que d’être mort d’avance
Le coeur battant
Bien inutilement
Sur des chefs d’oeuvres
Inimitables
Pour de beaux visages de femmes
Indifférentes
Et la justice
Qui n’est que le voeu pieu
De quelques esprits décents
Qui bat dans la poitrine
De quelques coeurs naissants
Foutaises! Tout ça fait déjà
comme la mort
Pour un homme
De mon âge et de ma condition
Et sans cynisme aucun
La vie est
Une dérisoire pagode d’argile
Balayée par les vents
On a pris l’habitude de vivre
Même à moitié
Et parfois mieux que ça
d’ailleurs, demain, au moins, à l’aube
J’arracherai
La promesse
D’une éternité diurne
Entre les cuisses de Linda
***