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Les cercueils d'Afghanistan

Publié le 26 septembre 2020 par Fmariet

 Svletana Alexievitch, Les cercueils de zinc, Paris, Actes Sud, Paris, 2018, 328 p., traduit du russe par Wladimir Berelowitch, Bernadette du Crest et Michèle Kahn

Les cercueils d'Afghanistan
Neuf ans de guerre, et plus de 15 000 morts. Voici le bilan de l'intervention soviétique en Afghanistan. Mais ce n'est que le bilan statistique auquel il faudrait ajouter le bilan psychologique et les milliers de mutilés, d'estropiés. 

Pour rien.

Le livre laisse la parole à des soldats, à des officiers, hommes et femmes de l'armée soviétique combattant en Afghanistan (les Afgantsy) et à leurs parents, victimes indirectes, impuissantes. "Nous sommes tous fautifs, nous avons tous pris part au mensonge", souligne l'auteur. 

Au tribunal (le livre comprend, en annexes, des éléments du procès), Svletana Alexievitch s'explique : "Les livres que j'écris ce sont à la fois des documents et l'image que j'ai de mon époque. Je rassemble des détails, des sentiments que je puise dans une vie humaine, mais aussi dans l'air du temps, dans ses voix, dans son espace. Je n'invente pas, je n'extrapole pas, j'organise la matière que me fournit la réalité. Mes livres ce sont les gens qui me parlent et c'est moi avec ma façon de voir le monde, de sentir les choses. J'écris, je note l'histoire contemporaine au quotidien. Des paroles vivantes, des vies. Avant de devenir de l'histoire, elles sont encore la douleur, le cri de quelqu'un, un sacrifice ou un crime." En fait, l'auteur se veut comme un miroir ; elle ne déforme pas, elle raconte de manière réaliste, objective ce qu'elle ressent, ce qu'on lui dit, ce qu'elle entend.

Bien sûr, ceux qui l'attaquent, celles et ceux qui ont porté plainte contre elle, lui expliquent comment il faudrait écrire ("On m'a donné ici [au tribunal] des leçons sur la façon d'écrire".). Ceux que l'on entend au tribunal voudraient des livres positifs, avec des héros, des livres qui disent la noblesse de la cause, la grandeur du pays, des livres qui glorifient les morts. Mais le livre montre surtout des personnes malheureuses, qui souffrent, et font leur travail et attendent lentement la relève.

Tous les livres de Svletana Alexievitch se ressemblent ; ils sont tous imprégnés d'une colère sourde contre la destruction des jeunes gens et des jeunes filles par la guerre, par la soumission aux erreurs (la guerre en Afghanistan fut une guerre inutile), ou par la soumission aux erreurs industrielles (la centrale nucléaire de Tchernobyl fut une autre erreur, qu'un "accident" fit exploser). L'auteur dénonce peu les pouvoirs en place qui portent la responsabilité de ces crimes, elle dénonce peu le peuple qui, soumis, accepte tout. Elle dénonce à peine les complicités muettes qui en profitent et "nous" qui sommes "tous fautifs". Mais pourtant ces livres prendront du poids, de l'autorité avec l'histoire. Ils seront l'histoire de la Russie. Aujourd'hui, celle, celui qui les lisent en sont changés. Et les autres, ceux qui ne les lisent pas ? Et l'histoire des guerres au Viet-Nam menées par la France puis les Etats-Unis ? Qui s'en soucie encore ?


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