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Chroniques d’un anthropologue au Japon (21)

Publié le 24 septembre 2020 par Antropologia

Martyrs (4)

Page 1. Nishinomiya, le 19 mars 1946, Bien chère maman. J’ai été surpris d’apprendre par la lettre de Michel que La Croix du Nord a parlé de mon arrestation. Je suppose qu’elle ne vous a pas donné beaucoup de détails, puisque moi-même je n’ai encore rien écrit à ce sujet. Je comprends ton inquiétude concernant les mauvais traitements que j’ai subis, aussi je me suis finalement décidé à faire un compte rendu assez détaillé de mon emprisonnement par la gendarmerie japonaise, le Kempeitai comme on l’appelle ici, ou pour reprendre l’expression de Michel : La Gestapo japonaise.

D’après l’introduction, ce devait être un rapport commandé par les MEP, et rendu public après la mort de l’auteur (1977 ?). Maintenant, c’est une lettre écrite en 1946. Le Père Mercier aurait-il simplement réutilisé un texte pour s’éviter des efforts ? Ou bien le style de la lettre est-il une technique littéraire pour captiver le lecteur ? À aucun moment, à partir de la page 2, jusqu’à la fin, l’auteur ne reparlera de sa mère. Le rapport prend le style du journal, dans lequel on peut dater précisément chaque événement survenu pendant les trois mois de détention du prêtre. À la fin, le texte est dédicacé au Supérieur Général de la Société des Missions Étrangères. Une troisième hypothèse, peut-être la plus probable, serait donc qu’une personne bien intentionnée ait introduit la lettre privée du prêtre dans le rapport avant de l’imprimer. Je demanderai à Maria si elle sait quelque chose.

Page 21. En nous rendant aux abris, nous passions devant le magasin à vivres de la gendarmerie. Souvent l’envie nous venait d’empocher un navet, une carotte ou n’importe quoi, mais les gardiens veillaient le long du parcours et ils nous fouillaient minutieusement, certains du moins, avant notre rentrée en cellule. Cependant une nuit, n’y tenant plus, Nenisky saisit un navet – daikon – à la sortie de l’abri. Comment s’arrangea-t-il, je l’ignore. En tous cas il réussit à faire entrer le navet en cellule.

Impossible de ne pas penser aux savons de Primo Levi, Si c’est un homme, En admettant même qu’ils veuillent vraiment nous fouiller tous les jours à la sortie, est-ce qu’ils le feront chaque fois que nous demanderons à aller aux latrines ? Bien sûr que non. Et ici, il y a du savon, il y a de l’essence, il y a de l’alcool. Je vais coudre une poche secrète à l’intérieur de ma veste, je monterai une combine avec l’Anglais qui travaille à l’atelier et qui trafique sur l’essence. Nous verrons bien si la surveillance est aussi sévère que ça. Deux hommes, la même année, 9000 kilomètres l’un de l’autre, font la même expérience. Résister à l’autorité, aussi forte soit-elle, par petites touches invisibles. La meilleure solution pour survivre.

Rémi Brun


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