Dessiner, c'est "se frayer un passage à travers un mur de fer invisible [...] disait Van Gogh, entre ce que l'on sent et ce que l'on peut", un mur à "miner et traverser à la lime , lentement et avec patience "*.
2020, Lignes : dans cette série hypnotique de Jean-Michel Comte apparait cette érosion de la paroi du sentir, éruption ordonnée, subtile, raffinée presque, non moins puissante et offensive. L'Assaut. Sous le treillis, l'insulte, l'injure, l'invective. Émergence d'un cri, é-crit recouvert par ses mêmes lignes, de l'identité niée, du traumatisme enfoui, de l'humiliation expectorée.
En surface, un maillage, une toile de fines lamelles patiemment tissée, comme une peau striée-pansée qui recouvre et rappelle la tradition séculaire de la stéganographie: l'art du caché et l'invitation à le décrypter. Devant ces lignes, aucune dérobade: on sent, on sait la force du dessous. Elles sont les adjuvants du dit, renforçateurs du cri; glaives acérés de l'affront.
La brèche ouverte, on pouvait s'attendre à un déferlement, à un éboulis de mots, à la révélation du tabou. Mais la ligne en a décidé autrement. Dans sa série Ruminations, le trait se met à bouillonner, à emplir frénétiquement la surface, jusqu'à suspension du souffle. Le créateur reprend les rènes. Refaire surface au bout de la mine, performer, repousser les limites du possible, et du temps. La feuille se couvre et se découvre, révélant son potentiel vibratoire ; la ligne frémit, imprimant le support de sa course. Chaque pièce répond à ses voisines en autant de vagues signifiantes. Condensés synergiques.
Côte à côte, toutes ces œuvres exhalent une immanente parenté. On voit surgir ce que les mots ne savent décrire, la vie psychique dans son épaisseur et son impalpable turbulence.
L'œuvre de Jean-Michel Comte a la succulence de l'inclassable, bravant les étiquettes en démontrant leur ineptie. " Nul n'a jamais écrit ou peint [...] que pour sortir [...] de l'enfer " écrivait Antonin Artaud. Sans aucun doute, les dessins de Jean-Michel Comte puisent à l'encre de l'ombre donnant à voir l'art dans sa complexe nudité : langage autocréé, réalité recomposée, sauvagerie organisée.
Galerie Henri Chartier, 3 Rue Auguste Comte, Lyon 2ème Tél : 06 70 74 80 92