Mais peut-être rêvait-il et n’a-t-il plus cessé depuis. « Je ne sais plus si je rêve ou si je suis rêvé », écrit le narrateur, P. Que fume-t-il ? Avec quoi se pique-t-il ? C’est la littérature, peut-être, qui l’a mis dans cet état, il faudra se souvenir de ces lignes, glissées dans la deuxième page comme une promesse ou une menace : « Un ami m’avait passé un livre, les Chants de Maldoror, tu verras, m’avait-il dit. J’avais vu. Ça m’avait cramé les circuits. Les mots, des vipères – j’en finis par le déchirer, ce foutu bouquin, une nuit d’hiver à s’en esquinter la vie – page par page, oui, jusqu’à le jeter, ensanglanté, dans un coin de l’appartement. » Après ça, comment s’étonner que plus rien ne soit pareil ? Que Lola se pointe ? Qu’elle agace et soit indispensable, qu’elle traverse les murs et l’espace ?
Une musique rythmée, que l’on imagine jouée par un saxophoniste déhanché, finit d’emporter l’adhésion, à moins qu’elle soit au début de celle-ci. Tout est lié dans ce livre, le ton et des événements invraisemblables, l’invention verbale et la dérive sociale – P. est une sorte d’assistant-cambrioleur, dont une bande d’authentiques voleurs se sert pour faire ouvrir les portes, parce qu’il présente bien et peut inspirer confiance.
P. est un menteur congénital. D’où le fait, se dit-on avec l’impression d’avoir compris, qu’il a tout inventé. Sinon qu’il se ment d’abord à lui-même, depuis toujours, pour échapper au réel. Et, cette fois-ci, le réel lui échappe. Personne ne pourra le croire, forcément. Sauf le lecteur, qu’il bouscule agréablement. Voilà qui change de la routine. Traverser la rue devient une aventure, puisque peut-être Lola rouge sera sur l’autre trottoir et que, soudain, au lieu d’être à Montmartre, on sera à Lisbonne, ou au Vietnam. Et, l’instant d’après, sur la route de Bangkok. Parce que Lola a disparu entre-temps, bien sûr.