Après une première phase de conquête reposant, en partie, sur la gratuité de leurs services, les nouvelles entrantes sont nombreuses (telles que Starling Bank, Monzo…) à introduire des frais sur certaines options et opérations, tandis que d'autres retirent leurs produits les plus ambitieux (les cartes de crédit, pour Tandem, par exemple) afin de réduire leurs coûts de fonctionnement. Plus que l'abandon d'une philosophie, ces revirements reflètent la crainte de difficultés à maintenir le train de vie qu'autorisaient des injections généreuses de capitaux sur le chemin, encore long, de la rentabilité.
En annonçant sa transition vers une logique d'abonnement payant à sa plate-forme mobile d'agrégation de services bancaires, la suisse Numbrs n'échappe probablement pas à la vague de réalisme et de frugalité qui frappe la FinTech depuis le début de la pandémie. En comparaison des commissions perçues jusqu'à maintenant sur les souscriptions conclues par son intermédiaire, il est certain que la ponction d'une contribution régulière auprès de ses plus de 4 millions d'utilisateurs – même si beaucoup renoncent – assurera un flux de revenus plus régulier, propice à sa viabilité.
Cependant, dans ce cas, le positionnement spécifique de la startup lui procure une justification parfaitement légitime du changement (qui entrera en vigueur au quatrième trimestre 2020) : l'indépendance de ses conseils. En effet, elle pourra désormais écarter toute suspicion d'influence de ces recommandations en fonction du niveau de rémunération accordé par ses différents partenaires. Dès que ces versements cessent, il est plus facile de croire qu'elle détermine ses choix dans le seul intérêt de son client.
L'initiative représente un virage extrêmement important pour Numbrs, car elle la démarque résolument de ses concurrents traditionnels. Même quand ces derniers renoncent à leurs politiques de primes sur les ventes, ils continuent à mener des campagnes massives de promotion, sans discrimination de besoins. À l'extrême, le simple fait de restreindre leur champ d'action à leur propre catalogue constitue une limite à l'objectivité de leur accompagnement. Par son ouverture à un univers beaucoup plus large, la jeune pousse, dans sa vision ultime, s'affranchit totalement de ces frontières.
En réalité, Numbrs aurait dû adopter cette posture autonome dès son origine… mais il est aisé de comprendre que le lancement sur le marché, avant qu'elle ait fait ses preuves, d'une application payante dont la promesse de valeur peut paraître obscure (ne serait-ce que parce qu'elle est inédite), présente plus de risques et soulève plus d'inquiétude que le recours à un modèle de courtage, connu et maîtrisé, donc rassurant. Le succès rencontré, qui lui donne une assise suffisante pour espérer atteindre une masse critique d'abonnés, et les circonstances lui fournissent une occasion unique de faire le grand saut.