Après mon analyse du plan de relance, qui se trouve être en réalité un plan de réformes structurelles, il m'a semblé utile d'évoquer deux ou trois faits saillants qui expliquent la dynami(te)que sociale à venir. En effet, à force de communiquer quasi exclusivement sur les questions économiques, le gouvernement arrive à occulter les aspects sociaux les plus inquiétants...
Le partage des revenus défavorable aux salariés
De manière assez simple, si le salaire n'augmente pas au même rythme que sa productivité, alors il y a déformation du partage des revenus au détriment des salariés. Dès lors, on peut déduire du graphique ci-dessous présentant l'évolution du ratio salaire réel par tête sur la productivité par tête, que le partage des revenus au sein de l'OCDE se déforme structurellement en faveur des entreprises et donc au détriment des salariés :
[ Source : Natixis ]
Le chômage structurel
La crise de la covid-19 va certes conduire à une augmentation du chômage conjoncture mais, plus inquiétant, également à une hausse du chômage structurel que l'on ne peut par définition faire baisser avec des politiques de relance. En effet, malgré les plans d'aide sectoriels des gouvernements, certains secteurs d'activité comme l'automobile, l'aéronautique ou le tourisme vont subir des difficultés durables, même si des observateurs avisés n'auront pas manqué de remarquer que ces problèmes ne datent pas de la crise sanitaire...
Toujours est-il que les salariés qui y travaillent vont pour certains perdre définitivement leur emploi et qu'il faudra du temps pour les reconvertir dans les rares secteurs qui embaucheront (santé, informatique, sécurité...). Ce d'autant plus que les systèmes de formation - en France notamment - sont parfois loin d'être dimensionnés et efficaces face à l'ampleur de la tâche. Autrement dit, pour parler comme Alfred Sauvy, le "déversement" d'un secteur à l'autre n'est pas assuré.
Quant à la qualité des emplois, elle semble avoir tout simplement été sacrifiée sur l'autel de la flexisécurité, alors même qu'il est évident qu'un emploi perdu n'est jamais simplement l'équivalent d'un emploi retrouvé, quand bien même il offre des conditions matérielles de subsistance similaires. Certains métiers font la fierté de ceux qui les exercent et ils ne peuvent être remplacés par d'autres emplois alimentaires sans conduire à la perte d'un savoir-faire et d'une logique de l'honneur au travail dont parlait Philippe d'Iribarne. Et je ne parle même pas du développement de l'emploi non-salarié comme substitut à l'introuvable emploi salarié, avec tout ce qu'il charrie de conditions d'exercice précaires...
Des salaires comprimés
À force d'évoquer dans les médias les rémunérations des stars du ballon rond ou du show-biz, l'on finirait par oublier que l'échelle des salaires des travailleurs ne compte pas autant de chiffres. Pour s'en convaincre, voici la distribution des salaires en France :
[ Source : INSEE ]
Et ci-dessous une comparaison internationale :
[ Source : INSEE ]
Et la crise aura bon dos lorsqu'il va s'agir de négocier des baisses plus ou moins temporaires de rémunération, dans le cadre notamment (en France) des accords de performance collective, qui remplacent et fusionnent les accords de maintien dans l'emploi (AME), les accords de préservation ou développement de l'emploi (APDE) et les accords de mobilité interne (AMI). Seulement voilà : les salaires constituent aussi l'un des moteurs de la demande.
Autrement dit, la demande des ménages est affaiblie afin d'augmenter la compétitivité des entreprises, dans l'espoir qu'elles fassent des profits et subséquemment se remettent à investir. Si le pari est gagnant, cela devrait déboucher sur une hausse de la productivité et la création d'emplois de meilleure qualité, donc mieux rémunérés. Mais comment dire, j'ai peine à croire à un tel schéma qui conduit les ménages à s'appauvrir et à s'endetter, d'autant que le MEDEF nous a déjà fait le coup du million d'emplois avec le CICE...
Patrimoine et salaires
Tout le monde se souvient de cette harangue de François Guizot : "Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne" ! Certes, mais plutôt par l'épargne (patrimoine) que par le travail si l'on en juge par le graphique ci-dessous :
[ Source : Natixis ]
Et le moins que l'on puisse dire est que la crise actuelle conduira à n'en pas douter à une accélération de ce phénomène, les prix de l'immobilier et de certains actifs financiers étant tirés vers les cimes par la politique monétaire ultra-expansionniste des Banques centrales. Or, les inégalités sont de moins en moins supportées dans nos sociétés...
En définitive, il faut être un grand optimiste ou un grand menteur, pour affirmer dans ces conditions que la dynamique sociale est orientée vers le meilleur. Et encore, nous n'avons abordé ici que quelques points pour éviter d'alourdir ce billet. Gare alors à la dynamite sociale qui guette et qui ferait passer les gilets jaunes pour un simple mouvement de contestation !
P.S. L'image de ce billet provient de cet article des Échos.