Le storytelling est-il dépassé ? Faut-il passer à être chose ? Non. Le storytelling est au coeur des pratiques professionnelles en entreprise dont on parle le plus ces derniers temps.
Je veux parler des méthodes agiles (scrum, kanban...) et des préoccupations UX/UI (expérience utilisateur et interface utilisateur).
Bien sûr, ces deux domaines d'action ne sont pas des nouveautés. On parle d'agilité depuis des années, d'expérience utilisateur plus récemment mais tout de même... Pourtant, ce sont des domaines dans lesquels la plupart des entreprises ont encore beaucoup de marges de progrès. J'ai personnellement l'impression que l'expérience utilisateur, précisément, en est à ses balbutiements dans bon nombre d'organisations, vu la façon dont leur site internet est conçu. C'est souvent un bon indicateur du niveau UX/UI d'une entreprise.
La narration omniprésente dans les méthodes agiles
Si vous travaillez en entreprise, vous ne pouvez pas ne pas avoir déjà entendu parler des méthodes agiles. Même si vous travaillez dans une organisation hyper traditionnelle, vous avez au moins dû entendre des collègues s'en moquer en disant que "ça ne peut pas marcher !".
Juste pour rafraîchir un peu les idées, voici la description des méthodes agiles appliquées chez Spotify. Pour ceux qui ne connaîtraient pas Spotify, c'est un service digital d'accès à de la musique. Et c'est aussi un modèle, laboratoire, banc d'essai pour pas mal de démarches agiles lancées à travers le monde.
Pour être franc, les méthodes agiles sont considérées comme étant le fossoyeur des méthodes de gestion de projet classiques. Autant le dire : si vous avez été formés à la gestion de projet traditionnelle, vous feriez bien d'apprendre également à le faire en mode agile, sous peine d'être has been dans des univers de travail de plus en plus nombreux.
En mode agile, on part de ce que l'on appelle des "user stories". Des histoires vécues par les utilisateurs, d'un produit, d'un service, d'un système, d'un logiciel. On trouve beaucoup d'exemples d'application dans le monde du développement de logiciels, parce que c'est dans ce domaine que tout a commencé.
L'objectif est de trouver ou du moins formuler des hypothèses de propositions de valeur qui répondent exactement à ce qu'a identifié ces user stories. Et ce qui est révélé par leur examen donne lieu à l'élaboration de "problem scenarios". Des problèmes (à résoudre), scénarisés.
Stories, scenarios : on le voit bien, dans les méthodes agiles, le storytelling est omniprésent.
Et ce n'est pas tout. Ces fameux users (utilisateurs), on ne va pas se dire que, parce qu'on travaille avec eux depuis des années, et bien c'est bon, on les connaît, pas besoin d'aller plus loin. Loin de là ! En mode agile, on va faire la même chose que dans le marketing moderne : on va élaborer des personas d'utilisateurs. C'est à dire des archétypes hyper détaillés d'utilisateurs. On va même leur donner un nom, illustrer ce à quoi ils ressemblent par une photo. L'objectif est de ne pas se contenter d'une vision de surface de ce qu'est l'utilisateur, des problèmes auxquels il ou elle fait face, de ce qui leur fait peur...
Quand on parle de personas, bien entendu, on est en plein dans le storytelling. Car un persona, c'est tout simplement un personnage d'une histoire. En l'occurence ici, l'acteur principal d'une histoire qu'il ou elle vit avec le produit, le service, le système, le logiciel... et indirectement l'entreprise.
Tout ceux qui s'intéressent au cinéma connaissent la technique du storyboarding. Pour les autres, un petit rappel de ce qu'est cette technique utilisée par les scénaristes de films pour matérialiser les scènes de leur récit.
Le storyboard est véritablement le tableau de bord d'une équipe en mode agile. Y compris dans les univers les plus techniques, il pourra être illustré par de petits dessins pour donner plus de caractère concret au projet en cours. Et, pour utiliser régulièrement la technique du storyboard pour faire du storytelling, je peux dire que la technique est identique pour un management agile.
Il n'est donc pas véritablement étonnant qu'un pionnier mondial du storytelling tel que Steve Denning se soit orienté vers les méthodes agiles dans ses activités de consultant sur la fin de sa carrière. J'avais eu le plaisir de participer à la relecture de son livre sur les méthodes agiles, d'ailleurs.
UX/UI et storytelling
Qu'est-ce que l'expérience utilisateur ? C'est une expérience vécue. C'est donc une histoire. Et donc du storytelling. Je rappelle à cette occasion que le mot storytelling ne doit pas être traduit littéralement. Ce n'est pas "raconter une histoire". C'est "travailler avec les histoires". Attention à ce faux-ami qu'est la traduction littérale.
Dans une démarche UX, on va commencer par identifier l'histoire-expérience vécue, là aussi, par différents personas. Oui, les personas marketing et agiles sont aussi pertinents dans l'univers UX.
On est donc ici dans la même configuration qu'une enquête narrative telle qu'on peut la mener dans le storytelling, avec des interviews suivant différentes méthodes. Mais l'objectif sera toujours d'identifier un récit, une expérience vécue, pas juste de rassembler de la data.
Il s'agit ici de tester différentes histoires susceptibles de répondre aux problèmes d'expérience utilisateur identifiés. On utilisera des wireframes, lo-fi prototypes etc. pour tester tout cela. Ce seront autant de pistes d'histoires possibles entre un système et un utilisateur.
On le voit : le storytelling est plus que jamais d'actualité. Il est au coeur des pratiques actuelles des entreprises. Et ce n'est pas dans le domaine strict de la communication efficace qu'il est utilisé. C'est bien plus largement au coeur du process d'efficacité des organisations (entreprises et autres) qu'il s'applique. Il est le liant entre le produit et l'utilisateur du produit, entre le service et le client etc. Oui, vraiment, on n'est pas prêt d'avoir fini d'entendre parler du storytelling. Ou quel que soit le nom qu'on lui donne. Dans les organisations en mode agile ou préoccupées par l'UX, on n'utilise pas forcément le mot storytelling. Non, mais on en fait, intensément. Et ça, c'est vraiment bien !