The Eternal Castle [REMASTERED] n'est pas un remaster de The Eternal Castle. Il faut dire, le nom est trompeur. Leonard Menchiari, Daniele Vicinanzo et Giulio Perrone, les trois bonshommes derrières le projet, sont de sacrés fripons. Cette belle histoire n'a jamais commencé en 1987, mais s'est a contrario bel et bien achevée un beau jour de janvier 2019.
Pas donc de prodigieux retour, ni de trouvailles archéologiques inespérées. Nous n'avons pas mis la main sur le chaînon manquant, on est tout aussi déçu que vous. Cependant, si cela peut vous consoler, on va vous parler de The Eternal Castle [REMASTERED], et même qu'on va dire tout le bien qu'on en pense.
The Eternal Castle est déjà à ce stade un objet d'intérêt. Qui s'amuserait à inventer la vraie fausse histoire d'un sombre jeu jamais sorti en 1987 ? On pourrait bien s'y méprendre pourtant, le jeu édité par TFL Studio et Playsaurus semble tout droit sorti de ces temps immémoriaux. Son sublime affichage 2-bits 4 couleurs, son framerate 18 images seconde, tout cela nous ramène aisément 30 ans en arrière. Évidemment le titre ne serait jamais sorti dans cette état à l'époque, mais avec une hypothétique remasterisation, cela passe comme une disquette dans un Macintosh. Le jeu est d'ailleurs compatible avec l'OS d'époque ; le genre d'attention derrière laquelle doit bien se cacher quelques perfectionnistes.
Des charmes intemporels
Ce qui en premier lieu devrait vous sauter aux yeux, ce sont ses qualités artistiques. Malgré - grâce ? - à ses possibilités techniques limitées, le jeu est magnifique, parsemé de compositions sublimes qui restent cependant parfaitement lisibles. Ces "limitations" le servent d'autant qu'elles viennent stimuler l'imaginaire. Additionnées à ses aspects cryptiques, le cocktail est détonnant, le rendu aussi bluffant que réellement fascinant.
Et encore, ne vous fiez pas à une image fixe : en mouvement c'est encore de toutes autres sensations qui viendront vous chatouiller le bas ventre. C'est beau comme rarement un jeu est beau, animé avec une finesse et une précision qui prolonge chaque action, chaque effort.
La partie sonore aussi mérite bien des louanges ; des musiques de Giacomo Langella à l'ensemble des bruitages, la partition tantôt furieusement électrique tantôt naturaliste, est toujours rondement menée. Que ce soit dans le chaos d'une bataille ou la désolation d'une décharge, vos oreilles y seront transportées sans soucis. On prend autant de plaisir à voir The Eternal Castle bouger qu'à l'écouter. Les deux ensembles, on ne vous en parle même pas.
Ce fonctionnement en symbiose offre une narration épurée qui suggère plus qu'elle assène. Un jeu dont les silences se retrouvent dans la puissance des images, dans le ressenti viscéral du récit et des situations. Du pur "show me, don't tell me", une économie de mots élégante qui colle parfaitement au loisir vidéoludique.
Quelque chose dans le regard
C'est un jeu comme avant, mais en 2019. Exactement comme on se figure que l'avant était, épris de nostalgie en n'en gommant tous les défauts. The Eternal Castle est une sensation, la photographie d'un instant de grâce. Un cliché en réalité trafiqué, n'héritant pas, bien heureusement, des archaïsmes de ses références.
Immanquablement, le cultissime Another World de Éric Chahi, sera cité comme une des inspirations les plus évidentes. Un jeu qui - pour y avoir joué récemment - a pris un sérieux coup dans les rotules avec le temps passé. À y jouer aujourd'hui, la frustration prend le pas sur beaucoup des qualités du titre. Les situations aux solutions contre-intuitives, les phases de "plateforme" inutilement millimétrées, il y a largement de quoi être irrité par un jeu qui en 1991, n'avait pas l'ensemble des notions que le jeu vidéo a aujourd'hui intégré.
The Eternal Castle reste lucide quand il s'agit de game design. Le résultat est un jeu très bien équilibré entre ses influences d'un côté et le temps écoulé depuis leur sortie de l'autre. The Eternal Castle [REMASTERED] est un fantasme, et c'est pour le mieux.
Dans les vieux pots
Il y aura du die and retry, mais juste ce qu'il faut, comme il faut. N'oublions pas que l'on reste dans un cinematic platformer et que les situations s'abordent généralement comme des puzzles.
Beaucoup des choses qui lui seront reprochées le seront certainement à tort. Il pourrait bien être plus maniable mais à quoi bon ? Moins cryptique mais pour quoi faire ? Il n'y a pas de soucis objectif, mais des soucis particuliers dans des contextes eux-mêmes précis et particuliers. The Eternal Castle n'a pas besoin de plus, sa jouabilité est en accord avec son level design et les différentes situations rencontrées.
La latence dans les mouvements, cette inertie particulière... Tout cela fait partie de la proposition, et est parfaitement digéré par le jeu. En résulte un rythme posé, assez "réflexif" et franchement pas désagréable, qui émule habilement le meilleur du genre.
Il est agréable également, de sentir l'autonomie qui nous est donnée ; la capacité que l'on peut avoir à exécuter et assimiler sans que le jeu vienne constamment nous parasiter ou nous interrompre. On donne au joueur le choix de l'ordre, le choix de l'approche : on lui donne les clés. Le jeu part du principe que vous trouverez bien une solution, vous vous débrouillerez si tant est qu'il soit lui-même bien pensé - et il l'est. On est ravi de le découvrir par nous-mêmes et de l'apprivoiser petit à petit, s'y cassant parfois quelques dents. Content aussi de savoir que le joueur curieux sera toujours récompensé.
L'éternité dure 3 heures
Le jeu se renouvelle avec un naturel déconcertant, sans pour autant trop se complexifier mécaniquement ou s'éparpiller - il n'en a de toute façon pas le temps. Sur chaque nouvel écran, il y a une trouvaille, au moins une idée, une surprise. Ne comptez par contre pas plus de 3 heures pour en voir le bout une première fois. Une durée relativement réduite, mais qui lui permet cela dit d'être très dense et de ne souffrir d'aucune longueur. On y a le genre de sensations que seule l'épure des "indés" - et quelques rares AAA - peut encore vous offrir. Considérer une seconde partie est loin d'être absurde pour pleinement l'assimiler.
Difficile de prendre à défaut The Eternal Castle [REMASTERED]. C'est peut-être encore un de ces rares jeux qui mérite d'être vécu. S'il n'a pas marqué l'année 1987, il aura au moins planté un drapeau sur 2019. C'est un jeu que l'on aurait adoré vous raconter, mais qui bien heureusement, ne se raconte pas.