Dans le passage suivant d'un tantra inédit, appelé par Abhinavagupta "le Roi des tantras", Shiva raconte son éveil :
"Envahi par une puissante méditation,
je me retrouvais dans l'état suprême.
Alors, mon énergie suprême s'éveilla dans le 'hara' ["la roue du bulbe"]
/ s'éveilla pour moi dans le 'hara'.
Elle est la conscience puissante, joie de la félicité et de la conscience
présente dans l'être de l'intervalle, dans le fondement
qui est l'intervalle où a lieu l'étreinte (de l'inspir et de l'expir).
Ô fille de la montagne !
Là, au centre, il y a une lumière transcendante,
entre l'être et le non-être,
Elle est présente, inséparable de moi,
Kâlî, source du temps, cause de l'imagination.
Alors, cette suprême déesse qui dévore le Temps
jaillit, (comme) cachée dans la félicité de sa propre félicité,
débordante de la réalisation de sa nature,
embrassant à la fois le conscient et l'inerte,
présente entre le conscient et l'inerte,
espace infini, déesse au-delà du mental,
qui dévore le Temps, qui engendre le Temps,
source du déploiement du Quatrième (état), etc.
Parce qu'elle dévore (âkarshayet) tout le Temps (kâla),
Elle est "Celle qui absorbe" (samkarshanî).
Elle absorbe le lieu suprême dans le vide à partir de (son) corps.
Elle s'éveille quand on la stimule :
on l'appelle donc 'Celle qui absorbe'.
Elle opère dans l'espace d'où elle
fait s'écouler inspir et expir.
Elle est présente dans l'espace au-dessus de la tête (à la fin de l'expir) :
elle est donc appelée 'surprême Kâlî'.
Comme elle engendre le Temps, Kâlî est la divinité".
Jayadrathayâmala Tantra IV, 19, 183b-192a, cité par M; Dyczkowski dans The Manthâna Bhairava Tantra, vol. 1, p. 399
Ce tantra, et en particulier cette quatrième section dont est extrait ce texte, est la source principale de la tradition Kâlîkrama, la tradition qui se situe tout au sommet de la hiérarchie des révélations tantriques. Kâlî est la conscience comme source du devenir, au-delà du devenir.
"Elle absorbe le lieu suprême dans le vide à partir de (son) corps.
Elle s'éveille quand on la stimule :
on l'appelle donc 'Celle qui absorbe'."
Ce passage est à connotation sexuelle. Le "lieu suprême" est le linga, etc. Âkarshayet signifie aussi "attirer", "séduire" et "extraire", ici, les fluides sexuels. Le reste est clair.