A première vue, connaître la conscience, c'est connaître l'absolu.
Car la conscience, qui n'est pas une chose inerte, mais un acte, ne peut être rejetée autrement que par un... acte de conscience. La simple supposition d'une réalité au-delà de la conscience ou indépendamment de la conscience, est encore un acte de conscience. Chercher à prouver un au-delà de la conscience, c'est comme chercher à éclairer l'obscurité...
Néanmoins, la conscience n'est pas une sorte de lumière prisonnière de sa propre clarté. Être conscient, c'est être libre de se manifester comme n'importe quoi : tout, rien, conscience, inconscience - c'est-à-dire absence d'objet, absence de contenu de conscience, absence prise pour une absence de conscience. La conscience se transcende elle-même, elle possède le pouvoir de ne pas coïncider avec elle-même. Tout en demeurant en elle-même, car rien ne peut se manifester hors d'elle. Même les ténèbres sont éclairées par une sorte de lumière, qui fait qu'on peut en parler, imaginer et "voir" les ténèbres.
Cela étant, est-ce suffisant pour affirmer que la conscience est l'absolu ? Que ma conscience est l'absolu.
- Oui et non.
Je constate bien que je peux tout exclure du champs de ma conscience, tout, sauf ma conscience. Je ne peux me nier qu'en m'affirmant par cette négation même. Donc je ne peux disparaître, si je suis cette conscience. Et ce qui ne peut disparaître semble bien être un absolu, une sorte d'absolu, au sens où la conscience existe par elle-même. Elle est à elle-même la cause de sa propre existence, de sa propre activité. De plus, aucune explication ne semble pouvoir dériver précisément la conscience de la matière. La conscience ne ressemble pas au cerveau, même si l'on peut relever des corrélations.
Cependant, aucune conscience n'existe sans corps, ni sans cerveau, lequel semble être la partie la plus essentielle du corps eu égard à la conscience. Ainsi, si tout dépend de ma conscience, ma conscience semble dépendre de mon cerveau. Certes, ma conscience ne se réduit pas à mon cerveau : pour que mon cerveau existe comme objet de conscience, il a besoin de ma conscience. Mais ma conscience a besoin de mon cerveau. Il n'existe pas de conscience sans un support matériel. Même si l'on suppose que la conscience ne se réduit pas à ce support. Dès lors, ma conscience ne peut être tenue pour absolue, pour entièrement indépendante. Une autre preuve que ma conscience n'est pas absolument indépendante est que ma volonté se heurte à un "autre". Le plus probable est que cet "autre", même si je ne peux pas le concevoir autrement que par un acte de conscience qui en fait aussitôt une manifestation de ma conscience, possède une existence indépendante de ma volonté, et donc de ma conscience. Je ne peux imposer directement ma volonté aux objets. Je dois passer par le corps, avec ses limites. J'en conclus que la conscience dépend du corps. Elle n'est donc pas un absolu.
Pourtant, la conscience est libre par rapport à l'environnement, plus que n'importe quel objet. Les choses obéissent aux lois de la nature. La vie s'arrache peu à peu à ces lois. Mais la conscience possède une indépendance sans commune mesure, si on la compare aux objets matériels, ou même aux objets idéaux, comme ceux des mathématiques. Je ne connais aucune conscience sans cette liberté. En outre, toute conscience est subjective, associée à un sens du "je". Je ne connais aucune conscience qui ne soit pas, en ce sens, personnelle. Toute conscience est liberté et ego.
Dès lors, puis-je affirmer que cette conscience est Dieu ?
- Si oui, alors c'est un Dieu limité, dépendant. Car, même si ma conscience montre une indépendance radicale par rapport aux choses, elle est aussi manifestement dépendante d'un grand nombre de choses.
D'un autre côté, la conscience est un mystère. Si, par "Dieu", on entend nommer le mystère, alors oui, la conscience est divine. Elle est le miracle d'être, de sentir, d'éprouver. De plus, je sens un mystère qui me dépasse en plongeant en moi. Là encore, ma conscience semble se dépasser elle-même, pointer vers un "autre", mais un autre plein de conscience, je veux dire plein de l'acte de conscience. Un émerveillement aussi fort, que mystérieux. Une évidence insaisissable. Et ce mystère, je le ressens comme un Moi. Un Moi au coeur de Moi. Dont l'activité veille au cœur, quelque part dans les coulisses. De plus, cet acte d'être que je sens au coeur de moi et que je me sens être, se donne comme une valeur absolue, sans que je puisse clairement exprimer ce que je ressens.
Connaître la conscience, c'est donc connaître l'absolu, c'est faire l'expérience d'un être qui me dépasse infiniment, et qui en même temps m'enveloppe et dont je ne puis me séparer. Un être qui me dépasse par l'intérieur, tout en m'enveloppant aussi par l'intérieur. Tout se passe comme si j'étais une activité de conscience absolue, sans autre origine qu'elle-même. Un commencement absolu qui, en bout de course, devient moi. Et pourtant, je ne peux séparer clairement les deux.
Comment puis-je prétendre connaître quoi que ce soit, alors que je ne me connais pas ?
Comment prétendre que je ne connais rien, alors que cette lumière en laquelle toute connaissance advient, est plus évidente que n'importe quoi ?
Je ne peux trancher.