Août 1904 — Comment la population de Marienbad accueillit son empereur

Publié le 14 septembre 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

En haut : porte triomphale érigée à Marienbad.
En bas : le Kaiser arrive à l'hôtel Weimar.
Photos publiées par Das interessante Blatt du 25 août 1904 (via ÖnB).

La villa Luginsland accueillit l'empereur François-Joseph lors de son séjour à Marienbad

Le quotidien lillois Le Grand écho du Nord de la France du 23 août 1904 rendait compte dans un article signé Victor Dubron de l'accueil enthousiaste que réserva la population de Marienbad à son empereur, François-Joseph vint dans cette bonne ville rendre visite à son ami le roi Édouard VII qui y effectuait sa cure annuelle.
L'ENTREVUE des deux Empereurs À MARIENBAD
(LETTRE AU DIRECTEUR DE L'«ECHO DU NORD»)
Marienbad, 17 août 19o4.
Mon cher ami,
   Un télégramme qui vous aurait résumé les principaux incidents de la visite de l'Empereur d'Autriche au Roi d'Angleterre n'aurait pu vous donner même une faible idée, ni de l'enthousiasme, à la fois ardent, contenu et comme mystique qu'elle a excité chez les sujets de Sa Majesté François-Joseph, ni de l'impression profonde produite, sur nous autres étrangers, par le spectacle que nous avons eu sous les yeux.    Si le vénérable Empereur a, dans sa longue existence, connu le malheur à peu près sous toutes ses formes, il y a une infortune cruelle pour un souverain qui lui a été épargnée : l'impopularité.    Marienbad n'avait pas reçu, depuis 1847, la visite de François-Joseph, alors âgé de treize ans ; du jour où ses habitants ont appris que leur Empereur allait passer quelques heures parmi eux, ils en ont presque perdu la tête, « Der Kaiser Kommt. L'Empereur vient, » répétaient-ils à tout bout de champ, et, pour  le recevoir dignement, ils ont poussé le luxe de l'hospitalité jusqu'à ses extrêmes limites.    La ville a dépensé 100,000 couronnes, mais les particuliers ont dû tripler au moins cette dépense pour décorer leurs habitations, même celles que l'Empereur ne devait pas voir et qui se trouvaient loin de son passage.    Tous les balcons sont drapés aux couleurs impériales, jaune et noir. À toutes les fenêtres pendant des oriflammes de six à sept mètres de long. Au centre de chaque maison, dans une sorte de chapelle, sous un baldaquin de velours à crépines d'or, la statue ou le portrait de l'Empereur, le plus souvent entouré d'anges prosternés.    A la devanture des magasins, chacun s'ingénie, quelquefois avec une candeur naïve, à symboliser son loyalisme. Le changeur dessinera à l'aide de pièce d'or de tous pays l'aigle aux deux têtes et c'est par des arabesques de fruits glacés que le confiseur ranpelle les attributs impériaux ou les couleurs nationales.  Arcs de triomphes couronnés, illuminations somptueuses, rien n'a été épargné pour traduire aux yeux de l'Empereur la joie de ses hôtes.   Peut-être aurait-on pu désirer que, dans ces flots d'étendards qui décorant si coquettement, en son cadre de vertes collines, la blanche Marienbad, on ait plus souvent rappelé les couleurs de ce pays d'Angleterre dont le souverain est un des hôtes les plus assidus et comme la réclame royale de la station balnéaire.     Le vieil Empereur est arrivé mardi à 2 heures et demie.    Le Roi d'Angleterre, revêtu du costume de feld-maréchal autrichien et portant le grand cordon de l'Ordre de Saint-Etienne, l'attendait sur le quai, avec le due de Teck, sir Horace Plunkett, ambassadeur d'Angleterre à Vienne, le comte Mensdorf, ambassadeur d'Autriche à Londres, le gouverneur général de Bohême, le général anglais Clarke, l'abbé Mitri, du couvent de Tepl (le principal propriétaire de Marienbad et des environs), le bourgmestre Nadler, etc.    A l'arrivée du train, le Roi Edouard VII s'avança vers l'Empereur qui portait l'uniforme d'amiral anglais et lui prit la main. Les souverains s'embrassèrent ensuite deux fois.    Après que François-Joseph se fût informé du développement de la ville dont les visiteurs s'augmentent, paraît-il. chaque année d'environ 3.000 baigneurs, la conversation s'engagea entre les deux souverains.    On se demande quelquefois ce que perdent bien se dire les Empereurs et les Rois dont les entrevues excitent l'attention du monde entier.    Il m'a paru piquant de vous rapporter tels quels et textuellement les propos échangés entre le Roi d'Angleterre et son illustre visiteur.     L'Empereur : — Depuis combien de temps êtes-vous ici ?   Le Roi. — Depuis une semaine ; cela me plaît beaucoup, mais il y a un peu trop de poussière.     La conversation a continué sur ce ton. Elle n'est pas de nature à inquiéter l'Europe !    L'Empereur a fait à l'hôtel Weimar une courte visite au Roi, qui la lui a rendue dix minutes après, à la villa Luginsland, préparée pour recevoir François-Joseph.    Les réceptions ont eu lieu à quatre heures. La noblesse, avec le prince de Metternich en tête, a d'abord présenté ses hommages au souverain. Le comte Nostiz, le prince Lobkowitz, le ministre hongrois Hiéronimig ont tour à tour serré la main de l'Empereur.    Puis, est venu le clergé, notamment l'abbé de Tepl et ses moines vêtus de longues soutanes blanches et coiffés de chapeaux haut de forme aux impeccables huit reflets. Ensuite ont défilé les autorités de tout genre.   L'Empereur a été affable pour tous ; il a parlé au plus grand nombre. On a remarqué qu'avec une éloquence qui nous a rappelé celle d'un de nos anciens Présidents, le vieux souverain, lorsqu'il était à court de formules, se plaisait à répéter celle-ci : « La ville s'est bien agrandie ; elle est très belle ».    Inutile de dire que personne n'a réclamé. A sept heures, le Roi d'Angleterre a fait servir, à l'hôtel Weimar, un dîner de dix-neuf couverts dont il a composé lui-même la menu suivant :
TORTUE CLAIRE POTAGE A LA REINE  TRUITES AU BLEU ET EN BELLE VUE CHARLOTTE DE BOEUF BOUILLIE AUX LÉGUMES  SELLE DE CHEVREUIL AUX AIRELLES  CHAUFROlD DE PERDREAUX POULARDES DU MANS RÔTIES GROUSES D'ÉCOSSE COMPOTE NIÇOISE SALADE AUBERGINES FRITES GLACE AU CHOCOLAT FRAISES A LA CRÈME
   Nos vins de France ont eu un grand succès.    A ce propos, les lecteurs de l'Echo du Nord apprendront sans doute avec intérêt que si les deux souverains apprécient tous les deux le Champagne, François-Joseph le préfère demi-sec et le roi Edouard l'aime mieux brut.    Les invités du Roi étaient, outre l'Empereur. le duc de Teck, le général de cavalerie comte Paar, adjudant-général, le gouverneur de Bohème, les deux ambassadeurs sir Horace Plunkett et le comte Mensdorf, le prélat de Tepl, le bourgmestre, la docteur Ott, médecin du Roi,et la suite de ce dernier.   Au cours de la visite impériale, l'abbé de Tepl a planté à la porte de l'église un arbre commémoratif, un sapin argenté de trois ans. Doux pays !     Ce matin, pendant que François-Joseph qui inaugurera demain sa soixante-quatorzième année, filait à toute vapeur, pour Carlsbad, le Roi Edouard VII, un peu moins obsédé par l'indiscrétion des curieux, continuait sa cure avec la philosophie tranquille d'un sage qui reconnaît et accepte l'égalité de tous devant les conséquences inflexibles des eaux aux vertus spéciales des sources salées de Marienbad.
VICTOR DUBRON.
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Invitation à la lecture 
  J'invite mes lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus que j'ai réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).
Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):
   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.    Comment s'est constituée la légende de Mayerling ? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire. Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :
1889 Les articles du Figaro 1899 Princesse Odescalchi 1900 Arthur Savaète 1902 Adolphe Aderer 1905 Henri de Weindel 1910 Jean de Bonnefon 1916 Augustin Marguillier 1917 Henry Ferrare 1921 Princesse Louise de Belgique 1922 Dr Augustin Cabanès 1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.
Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.
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