Entre la montée vertigineuse des inégalités sociales, renforcée par le crise économico-sanitaire et environnementale, les inquiétudes sur la notion de travail et l'emploi suscitées par la robotisation des métiers et les applications de l'intelligence artificielle, et la prise de conscience par une poignée de « puissants » (des dirigeants d'états et d'entreprises, des milliardaires…) de la nécessité de restaurer un certain équilibre pour le bien commun, le moment semble venu d'envisager une autre manière de redistribuer la richesse.
Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si le projet GoodDollar émerge aujourd'hui, sous l'impulsion du spécialiste de l'investissement eToro. Son idée initiale est d'encourager les détenteurs d'actifs financiers à en partager les fruits avec le reste de l'humanité (dont, en particulier, la moitié qui possède moins de 2% du patrimoine mondial) – sans leur demander pour autant des sacrifices extraordinaires, prenons soin de le préciser. Et les technologies modernes offrent le dernier maillon rendant sa concrétisation possible.
Sans surprise, l'approche repose sur une cryptomonnaie dédiée, elle-même baptisée GoodDollar (« G$ »). Son cycle de vie commence par la constitution d'une réserve de cryptodevises par un groupe de « supporters », individus et organisations qui croient au revenu universel et s'engagent dans sa mise en place en acceptant de déposer et bloquer des fonds pour son fonctionnement. EToro invite notamment ses clients à investir les « intérêts » générés par leur portefeuille via des protocoles tels que Compound.
Le second versant de l'équation consiste simplement à miner des GoodDollars, leur valeur réelle dérivant directement du capital détenu et des intérêts qu'il produit. La monnaie virtuelle créée est alors distribuée aux participants, pour partie en rémunération des « supporters » (qui ne s'inscrivent ainsi pas uniquement dans une démarche philanthropique) et, pour le reste, en une rétribution versée sans conditions (sinon de prouver l'unicité de leur identité) à tous les individus inscrits en tant que bénéficiaires.
Je passerai sur les (nombreux) mécanismes techniques et monétaires qui permettent de garantir, autant que possible, la sécurité, la stabilité et la viabilité du GoodDollar, et je m'attarderai plutôt sur ses usages. L'ambition de ses concepteurs est de fournir un complément aux monnaies fiduciaires, contribuant vraiment à améliorer le bien-être des populations, en injectant des liquidités dans l'économie réelle, d'abord dans son incarnation informelle du troc entre personnes, puis, au fil de sa généralisation dans les porte-monnaie, au cœur du commerce de détail traditionnel.
Comme toutes les cyrptomonnaies, GoodDollar porte un agenda politique, dans lequel on retrouve l'idée classique de la supériorité de la décentralisation sur le modèle de décision hiérarchique des états. Elle se trouve ici doublée par l'opposition de son point d'entrée au niveau du citoyen face aux logiques de ruissellement des grands programmes gouvernementaux de soutien à l'activité. La nouveauté dans ce registre est que, en comparaison de la vision libertaire des pionniers (bitcoin en tête, bien sûr), c'est une inspiration socialiste qui s'exprime ici. Reste à voir si les « supporters » suivront.