Ce sont des histoires méconnues. Des tragédies souvent, des moments lumineux parfois subis par l’africain déporté de force et sa descendance ou qui celui se déplace en raison la précarité d’une existence sur la terre qui peine à être nourricière. Sur ces maux, des hommes et des femmes adjoignent des images, des témoignages, des regards extérieurs. Le FIFDA collecte, rassemble ces points de vue produits depuis différents espaces. D’Allemagne, de Cuba, de l’Atlas marocain, de Montréal, d’Ouganda, de Guyane, de la capitale française, du Brésil, de Grande Bretagne... Sur plusieurs périodes de l'histoire. Dans le cadre de cette série de films que la dixième édition du FIFDA nous a proposés, j’ai vu beaucoup d’hommes et de femmes en mouvement : soit en fuite, soit de retour au bercail.
Kafé négro : le va et vient entre Cuba et Haïti
Cela commence avec cette énorme bousculade qui a vu près de 18000 colons français se déporter en très peu de jours d’une Saint-Domingue ayant défait les troupes de Napoléon, pour accoster sur la pointe orientale de Cuba à Santiago de Cuba. Pour être précis, dans ces dix huit mille migrants, au premier jour de 1804, on comptait un tiers de colons, un tiers d’affranchis et un tiers d’esclaves dépendants. Dans le mouvement, dans cette fuite, les colons français vont saisir cette opportunité pour procéder à un transfert technologique et développer la culture du café à Cuba, en particulier dans la région de l’est à Cuba. Les espagnols vont procéder ensuite à l’expulsion des colons français. Ce sont les ouvriers et les affranchis qui vont entretenir et développer. Cette migration va être la première d’une longue série de mouvement entre Haïti et Cuba, en fonction des besoins en ressources humaines de Cuba, des stratégies économiques autour de la demande mondiale en sucre. Castro ordonnera un respect et une protection sur les haïtiano-cubains qui ont selon le leader Maximo participer au développement de l’île.Myopie : le mouvement pour continuer de voir clair
Le mouvement peut se faire à l’intérieur d’un seul pays. Comme celui d'une femme enceinte de plusieurs mois qui abandonne les hauteurs de l’Atlas et son enfant pour aller à la recherche de nouveaux verres de lunettes pour son imam. Présenter comme cela, nous semblons plongés dans l'absurde. Mais le symbolisme est judicieux. Dans cette région montagneuse et très pauvre, Sanaa Akroud imagine un village où la seule personne qui sait lire est un vieil imam. Il ne peut plus lire son coran. Il ne peut plus lire les lettres de ceux qui ont migré. Le monde devient flou. Fatim Ben Brahim part donc pour tenter de résoudre cette équation.Aluku liba : Le mouvement de retour
Le mouvement de retour ne se fait pas forcément simplement. Surtout quand on a perdu ses repères. On voit un homme qui affronte la jungle guyanaise pour retrouver son clan, sa base, celui des marrons. On se représente très peu ces communautés. Réalisation : Nicolas Jolliet / 2009 / Canada
Paris Noir : Partir pour sauvez son art.
African Américains in thé city of lights est le documentaire le plus passionnant de la sélection que j'ai pu voir. Je ne pensais pas apprendre grand chose de ce film sur la présence africaine-americaine à Paris entre 1917 et le début des années 60. Nous sommes à la fin de la première guerre mondiale. Le lieutenant James Reese Europe, militaire américain ayant combattu pour l’armée française, fait découvrir le jazz à l’Europe. Plusieurs artistes musiciens afro-américains vont traverser l’Atlantique pour faire découvrir cette attraction au public parisien. Ce genre musical va s’imposer et le public va devoir le prendre au sérieux. Des écrivains, des sculpteurs, des danseurs, des peintres vont pendant cette longue période faire des séjours plus ou moins longs. Des universitaires donnent des éléments de contexte, la motivation du départ de ces artistes, les rencontres faites avec l’élite parisienne, la réaction aux zoos humains. Ségrégués aux Etats Unis où tout se résume à une question raciale, ces artistes découvrent la joie de la rencontre avec l’Autre dans toute sa composante à Paris. Ce film nous parle donc de Paris sous un angle extrêmement positif, mieux lumineux. Certaines anecdotes sont savoureuses, comme les règlements de compte de Sidney Bechet à coups de pistolet. La présence du mouvement Harlem Renaissance à Paris est riche. Certaines expériences sont plus douloureuses, comme celle de la sculpture Nancy Elizabeth Prophet qui séjourna sur Paris de 1922 à 1932. La trajectoire du peintre Ossawa Tanner est tout aussi édifiante. Il a une reconnaissance internationale. Mais la description de son parcours aux Etats Unis rappelle combien il était difficile de développer son art. Que dire de Joséphine Baker qui a marqué durablement les esprits avec sa ceinture de bananes ou pour son engagement dans la résistance pendant la seconde guerre mondiale. Paris sous un angle lumineux.Réalisation Joanne Burke / USA, France / 2017
La négation du Brésil : Poste d’observation sur le soap opéra
J’ai baigné durant les années 90 dans les soap opéra brésiliens. Autrement dit les télénovela. Isaura. Donã Beija. Si seulement on mesurait l’impact de ces séries télévisées au Congo en dénombrant les enfants qui portent le prénom d’un de ces personnages. Mais quelle est la représentation des afro-brésiliens dans ces séries. En partant de la première star afro-brésilienne Isaura Bruno dès 1964. Le documentaire nous montre quasiment 50 ans de représentation des comédiens afro-descendants dans le game brésilien. On retrouve des stéréotypes dans les rôles proposées, des phénomènes de censure par la production (souvent TéléGlobo) ou par le public, en particulier sur les unions interraciales. Ce qui est intéressant dans ce reportage, c’est la prise de parole des comédiens. Ils, elles reviennent sur leurs expériences professionnelles. Souvent frustrés, très offensif. Ce qui est révélateur, ce sont les parallèles qu’on peut faire avec les mêmes représentations en France ou aux Etats-Unis à la télévision. Le discours d’un comédien rappelle que ce qui importe pour lui, c’est la nécessité d’exister, de se retrouver, de se voir dans ces fictions populaires. Pourquoi Isaura, la jeune esclave est-elle jouée par une comédienne blanche? Je ne m’étais pas vraiment posé la question à Brazza. L’explication est douloureuse. Dans l’adaptation de La case de l’oncle Tom, ce dernier est joué par un acteur blanc barbouillé en noir. Blackface. Je pense à Greg Germain en suivant ce reportage. J’ai adoré ce comédien quand j’étais tout petit dans son rôle du docteur Alpha dans la série Médecins de nuit. Regarder l'ailleurs pour réaliser qu'il n'y a pas de grandes avancées sur ces questions en France.
Réalisation Joel Zito Arujo / Brésil / 2000
Sisters in cinema : Poste d’observation sur les réalisatrices
Il est important de souligner que ce reportage date de 2003. C’est important parce qu’au moment du reportage, on comptait quatre femmes afro-descendantes ayant tourné pour un grand studio hollywoodien. C’est le documentaire le plus problématique. Parce qu’il souligne une posture. Une attente. Une absence. Un besoin économique pour lequel on recherche l’aide d’autrui. J’ai vraiment ressenti un désarroi et une certaine passivité.Bon, je ne peux pas vous parler de tous les films. Dire que j’ai été traumatisé pas Congo : Black King, Red Rubber, Black Death, documentaire (Congo Belge), c’est peu dire. Le film revient sur les excès, sinon les crimes de Leopold II dans « son » territoire. Il est développé en trois langues, l’anglais, le français et le lingala. La violence déployée par le roi Belge est celle qui illumine le capitaine Kurtz dans le fameux roman de Joseph Conrad. Rien ne vaut certaines images aussi douloureuses soient-elles pour saisir certaines réalités. Le traumatisme d’une militaire de retour d’Irak et d’Afghanistan est déchirant dans Stand down soldier. La tragédie de Marie-Josèphe, dans Mains noires, esclave plus ou moins libre dans la société montréalaise va être accusée, torturée pour avoir « mis le feu » à la ville de Montréal. En 1734.Bref, le FIFDA est un festival qui travaille sur la mémoire. Une mémoire douloureuse. Une mémoire qui explique le présent. Une mémoire que beaucoup ignorent. Sinon, certains aborderaient les mouvements sociaux qui animent l’actualité avec beaucoup plus de réserve. Là ou le festival Nollywood Week à Paris travaille sur le quotidien avec des thèmes populaires et distrayants, le FIFDA nous donne à méditer sur ce nègre errant qu'on découvre dans ces différents films.