Renshi trilingue
(Shuntaro Tanikawa, Kim Hyesoon, Ming Di, Yasuhiro Yatsumoto)
Traduit par Jean-René Lassalle à partir de traductions anglaises et des originaux japonais, coréen, chinois
III : Soleil
25
Du Japon le drapeau national se nomme Hinomaru (disque solaire)
Ce « Noble Dessin » n’est qu’un cercle pourpre sur fond blanc
Si innocent qu’il aurait pu être conçu par un enfant
mais ses couleurs sont plus retorses que celles des 5 anneaux olympiques
Jamais je ne brandirai le drapeau
日本では国旗を日の丸と呼ぶ
白地に真紅の円だけのグッドデザイン
まるで子供が考えたかのような無邪気さだが
含意は五輪の五色どころではない色々
旗振りなど金輪際したくない
(Shuntaro)
26
Ce fut le jour du festival du soleil dans Sacsayhuaman à Cuzco
Dans le matin du solstice d’hiver je dis salut à la nuit de Séoul en son solstice d’été
La ligne de départ du marathon des 365 jours foisonnait d’Amérindiens
쿠스코의 삭사이와만에서 태양의 축제가 있는 날이었다
나는 동지의 아침에서 하지의 서울의 밤에게 안녕 인사했다
365일 동안 계속될 마라톤 코스의 출발선에 인디오들이 가득했다
(Hyesoon)
27
Les voix chantantes des pèlerins péruviens
s’entremêlent aux Jingle Bells d’une confiserie
Un homme s’enveloppe des 5 journaux nationaux
et s’allonge dans une trouée entre les bâtiments alignés… sachant
que ce point recevra le premier rai du soleil matinal (Asahi)
さまよえるペルー人たちの歌声が
ケーキ屋の店先のジングルベルと混じり合っている
男は全国新聞五紙を身体じゅうに巻きつけて
立ちはだかるビルの隙間に身を横たえる 彼は知っているのだ
そこが最初に<朝日>の射しこむ場所であることを
(Yasuhiro)
28
Aux jungles d’Amérique Latine se lève un lion balançant chevelure d’or
Lorca tombant en Espagne, avant de clore ses yeux, contempla le soleil d’or (日)
Il saisit un rayon comme s’il guidait un immémorial cerf-volant de paix
一头拉美丛林的狮子站起,摇一头金色的头发。
洛尔迦在西班牙倒下,低头之前看见一个金色的太阳。
他抓住一根光线,仿佛牵住了一只古时候的和平风筝
(Mindy)
29
Quelle douleur apporte la lumière au hibou ?
Quelle douleur offre la lumière à la chauve-souris ?
Quelle douleur cause la lumière à la fille cachée au grenier ?
Dehors une armée de feu marche vers moi en crinière d’or
Quelle angoisse m’emplit quand je m’accroche à la tardive étoile du matin
올빼미는 저 빛이 얼마나 아플까?
동굴 속 박쥐는 저 빛이 얼마나 아플까?
다락방에 숨은 소녀는 저 빛이 얼마나 아플까?
밖에서는 불의 군대가 금빛 갈기를 앞세우고 행진해 오는데
새벽의 마지막 샛별을 움켜쥔 나는 얼마나 무서울까
(Hyesoon)
30
L’arc-en-ciel capté sur l’écran, d’un clic perd ses couleurs
« La photographie exige-t-elle coloration quand ombre et lumière suffisent »
souffle l’opératrice aux cheveux d’argent à sa jeune assistante
ディスプレーに捉えられた虹がクリック一つで色を失う
「写真に色は要らない、光と影だけでいいの」と
銀髪のカメラウーマンは若い助手に向かってのたまう
(Shuntaro)
31
Quand le monde était dans sa jeunesse Nuwa donna naissance à dix soleils,
dix soleils dix couleurs dix sexes
Ils jouèrent dans les airs en seigneurs de la guerre et brûlèrent les oiseaux
Une fille-garçon tenant un arc et dix flèches
perça neuf des soleils les éclatant en neuf mers et neuf volcans
世界年轻时,女娲生下十个太阳
十个太阳十种颜色,十种性别
他们在空中玩耍,如同军阀,他们的狂热烧死了所有的飞鸟
一个女-男孩,手握一把弓,十支箭
把九个太阳射开,分割成九个海洋,九座火山
(Mindy)
32
Sur le cadran solaire rampe la fourmi
Du jour jusqu’à la nuit elle traîne l’aile d’un papillon
Régal pour les enfants souterrains
日時計盤の上を蟻が這ってゆく
昼から夜へと 蝶の翅を引きずりながら
地底の子等へのご馳走に
(Yasuhiro)
33
À l’école de langue des signes en place d’une cloche sonne une lumière
À la fin du cours ainsi qu’au déjeuner sonne une lumière
Un arbitre de football bondit et poliment forme le geste pour faute
Quand il regarde sa montre et lève son drapeau signifiant fin de partie
l’équipe gagnante et la perdante, juges et spectateurs miment à deux mains des papillons
et les élèvent à s’envoler vers le soleil
수화 교실에선 소리 대신 빛으로 종을 친다
수업이 끝나는 시간도 점심시간도 빛으로 종을 친다
축구의 파울은 심판이 뛰어와서 친절하게 알려 준다
손목시계를 들여다보던 심판이 게임의 종료 깃발을 높이 들어 올리면
이긴 팀도 진 팀도, 심판도 관중도 두 손으로 나비를 만들어 햇빛 속에 날린다
(Hyesoon)
34
N’importe quelle scène vue dans un cadre de fenêtre paraît poétique
réfléchit le tyran terminant l’écriture de son discours
Une houle de lunettes scintille dans l’océan de ceux qui le haïssent
窓ガラス越しに見下ろすとどんな風景も詩的に見える
と演説の原稿を仕上げながら独裁者は思う
彼を憎む人々の海の波間に眼鏡のレンズがきらきら瞬いている
(Yasuhiro)
35
À travers son monocle mon oncle pourchasse un vase chinois
Masquée de rondelles de concombre je le traque à travers des trous d’épingle croqués par des insectes
distinguant un tournesol indiquant le soleil qui me conduit pourtant au fleuve Yang-Tsé
où Qu Yuan jadis sauta, mais je le gratifiai de feuilles de bambou fourrées de riz gluant
lors il se releva les yeux brillants, Vénus dans le gauche, un lotus dans le droit
我叔叔戴着单片眼镜追一只中国坛子,
我戴两片黄瓜追他。从两个被虫咬开的洞
我看见一朵太阳花引路,把我引到长江边——
屈原曾从这里跳下去,我给他带来两千个粽子。
他站起来目光炯炯,左眼金星,右眼荷花
(Mindy)
36
Livré au vent du temps et embrasé d’antiques lumières
notre mandala résiste en poésie contre l’entropie du monde
Le soleil matinal ici est l’astre du soir là-bas, le bonjour et l’adieu s’élèvent en spirale vers le lendemain
時代の風にあおられ古代の光に灼かれながらも
私たちの曼荼羅は詩で世界のエントロピーに抗う
こっちの夕日はそっちの朝日 お休みとお早うは螺旋状に明日へと向かう
(Shuntaro)
Source : Shuntaro Tanikawa, Kim Hyesoon, Ming Di, Yasuhiro Yotsumoto : Trilingual Renshi, poetryinternational.org, Rotterdam 2015.. Traduit par Jean-René Lassalle à partir de traductions anglaises et des originaux japonais, coréen, chinois
Renshi trilingue
Actualisant la tradition japonaise de la chaîne humaine de poèmes qui se répondent Renga ou Renku (selon ses structures à base de tanka ou de haïku) le poète contemporain Makoto Ooka initia le Renshi dans les années 70, le libérant des mètres traditionnels, et l’ouvrant aux poètes de langues différentes, en une ronde traversant les frontières. L’interaction est souvent intense entre les poètes et leurs traducteurs réunis pendant plusieurs jours. Le but du renshi n’est, selon Ooka, ni la perfection ni la splendeur, mais un « ouvrage réalisé à plusieurs auteurs » « constamment affecté par les interactions dynamiques et organiques entre les parties et le tout ». Le renshi japonais se nourrit de l’écoute accueillante de l’autre, de la métamorphose des métaphores, et de la création collective. Lorsqu’il est multilingue, il devient une de ces œuvres poétiques planétaires échappées de la Tour de Babel.
Le Renshi Trilingue présenté ici relia – contemporainement, par e-mail - quatre poètes asiatiques dont les pays furent séparés par le conflit mondial, et qui décidèrent de construire un mandala humaniste, pendant les quelques jours précédant le 70ème anniversaire de la fin de la guerre le 15 août 2015, ajoutant une alternative aux discours politiques prévus. Ce renshi réunit donc, sous les auspices du festival international de poésie de Rotterdam, le Japonais Shuntaro Tanikawa (né en 1931), la Coréenne Kim Hyesoon (née en 1955), la Chinoise Ming Di (alias Mindy) et le Japonais Yasuhiro Yotsumoto (né en 1959). Leur renshi se divise en 3 cycles titrés « Mer », « Riz » et « Soleil », évoquant leur environnement de vie. Le cycle complet du « Soleil », traduit ici en français pour Poezibao, décline variations et transformations du symbolisme solaire, avec échos et fils rouges entre les poèmes, pour réaliser un mandala poétique résistant « contre l’entropie du monde ».
Le Renshi entier avec ses 3 cycles dans les langues originales traduites en anglais se trouve dans les archives du site Poetry International
On peut aussi voir la vidéo des 4 poètes disant le texte dans leurs langues, avec sous-titres anglais. Si l’on avance le curseur à 9’18’’ on tombe sur le cycle « Soleil » (Sun) :
Trois remarquables livres de Kim Hyesoon sont traduits en français aux éditions Circé.
Chez Cheyne on découvrira L’Ignare, en bilingue, de Tanikawa, qui est un des poètes les plus connus du Japon.
Un essai sur le renshi en général, « Renga, Renku et Renshi », par Makoto Ooka, figure dans le numéro 100 de la revue Po&Sie (en 2002), qui offre en même temps une magnifique anthologie de poésie japonaise contemporaine avec Ooka, Tanikawa, Yoshioka, Gozo Yoshimasu, etc. On peut le lire dans les précieuses archives de cette revue, à la fin des poèmes de Ooka, pages 50-54
Jean-René Lassalle
Cette parution est également disponible au format PDF, avec illustrations, à ouvrir d'un simple clic sur ce lien.