C’est avec un solo show détonnant de Caroline Achaintre que la Fondation Thalie, -créée par Nathalie Guiot-, ouvre les festivités lors de cette rentrée artistique effervescente.
De drôles de créatures hybrides nous accueillent dans cette sublime maison à l’esprit moderniste. Représentées par des dessins à l’aquarelle, des céramiques et d’immenses tapisseries, formes et matières fusionnent dans un échange aussi bien esthétique qu’humoristique.
Caroline Achaintre -née à Toulouse en 1969- a grandi en Allemagne. L’importance physique et le travail manuel dans sa création se révèlent à elle dans les années quatre-vingt-dix quand elle entreprend une formation de plusieurs années chez un forgeron. C’est au début des années 2000 qu’elle s’inscrit aux Beaux-Arts de Londres, ville dans laquelle elle s’installe définitivement.
Forgerie, Freud et Tuftage
Pour comprendre l’évolution de cette artiste-ovni il faut retourner au tout début des années 2000, quand jeune étudiante elle commence une petite série de dessins à l’aquarelle. Le contraste de couleurs clairs (rose, jaune) et sombres ( noir, gris) ainsi que l’association d’éléments figuratifs et abstraits, s’inscrivent dans un univers anthropomorphique, singulier qui signe déjà son estampille. L’intérêt pour Freud à cette époque l’amène à s’interroger sur les personnalités multiples vivant dans un même corps, mais aussi« à traduire un sentiment anxiogène voire de peur dans les choses familières du quotidien ». L’usage de l’aquarelle lui permet de créer des formes coulantes, tombantes, «liquides» permettant de renforcer l’intensité émotionnelle. Mais la jeune femme ressent le besoin d’aller plus loin. « Je ne veux pas que mon travail soit statique, je veux qu’il soit vivant !». Et si ces dessins se transformaient en objets domestiques ? Elle créée son premier tapis. «Il y a vingt ans, il était très rare de trouver dans l’art contemporain des œuvres textiles, cela effrayait les gens ». Elle se forme rapidement à la technique du « tuftage », une technique complexe permettant à l’artisan tapissier de tisser, grâce à un pistolet à brins selon les couleurs choisies tout en suivant le dessin préparatoire au dos de la toile, tenue bien droite à la verticale lors du procédé.
- Caroline Achaintre, Vue Liquide, Fondation Thalie
- Caroline Achaintre, Vue Liquide, Fondation Thalie
- Caroline Achaintre, Vue Liquide, Fondation Thalie
- Caroline Achaintre, Vue Liquide, Fondation Thalie
Des personnalités multiples enfermées dans un même corps
Sa première œuvre très basique, un tapis de laine blanche composée de deux trous sur fond noir, sans relief, ne lui convient pas posé sur le sol. Lui vient l’idée de la suspendre au mur. L’effet est radical. La pièce devient une tapisserie représentant un masque. « Je suis tombée amoureuse du tuftage, véritable technique de niche, qui bien que très compliquée, me convenait parfaitement. Il y avait une véritable interaction entre activité physique ( lors de ma formation chez un forgeron) et intellectuelle.
C’est à partir de cette pièce que Caroline Achaintre se lance dans des œuvres bien plus élaborées, immenses, puissantes. À partir de 2006, elle accouche de tapisseries en laine de plusieurs mètres de haut. Elles sont des créatures nées de multiples références telles que les masques de carnavals européens, les fantômes, le primitivisme, l’expressionnisme allemand, le chamanisme, l’animisme ou enfin d’inspiration « baconienne ». Mais pour la jeune femme il y a encore plus que tout ça : “ mes œuvres sont composées de personnalités multiples vivant dans un même corps ». Elles sont à la fois effrayantes, drolatiques, emphatiques mais surtout prodigieuses. Et puis cette tonne de laine, qui tombe en cascade est fascinante. On adorerait pouvoir toucher, s’enrouler dans ce que l’artiste nomme ses « sculptures-laines ».
Cinq d’entre elle, impressionnantes, sont présentes à la Fondation Thalie ( Igor, Roofos, Miss Tique, Spitfire, Inhibitor). Les aquarelles sont là aussi. Datées de 2018, on y retrouve définitivement les amours de jeunesse (Freud, Bacon), les couleurs contrastées, les masques, les fantômes etc. Et puis à tous ces personnages d’aquarelle et de laine qui dialoguent en permanence, se rajoutent d’autres camarades sous forme de céramiques extravagantes, insolites dont certaines à l’expression friponne ( Nebula, Hadrian, Merlin, etc.). L’effet lissé, plié, brillant, mouillé, reptilien de ces céramiques mi humaines mi animales, aussi bien accrochées au mur telles des masques, que posées sur des socles comme des vases à la gueule grande ouverte, nous laisse figées par leur virtuosité technique. Les œuvres de Caroline Achaintre ont été une véritable révélation : elles sont aussi poilantes que divines. Foncez-y !
Caroline Achaintre, Vue Liquide
Fondation Thalie, 15 rue Buchholtz, 1050 Bruxelles
Jusqu’au 13 décembre 2020
Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h
Mélanie Huchet, journaliste culturel