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La fille qui déclenchait une couvade psychosomatique et prenait ça pour un problème thyroïdien

Par La Chose

La fille qui déclenchait une couvade psychosomatique et prenait ça pour un problème thyroïdien

Depuis trois semaines, à la maison, on voyait plus beaucoup nos poules.

D’habitude elles sont tout le temps en train de faire des bruits bizarres qui rappellent un peu le public des émissions de Cyril Hanouna, elles courent dans tous les sens comme des débiles et puis elles grattent la terre pour manger du caca et des choses mortes (comme le public des émissions de Cyril Hanouna).

Mais là, ben c’était très très silencieux et on savait pas trop si elles étaient vivantes, mortes ou dans la phase dépressive d’une PMD.

Du coup, on voyait seulement le coq, qui s’appelle Giovanni et qui était tout triste.

Il se trainait un peu comme un chômeur de longue durée, et même que j’ai voulu aller lui donner un peu de Xanax mais c’est Loutre qui m’a arrêtée en me tapant fort sur la tête et en me criant très fort « Non mais t’es pas un peu FOLLE des fois » (j’ai voulu lui parler du risque suicidaire, mais j’ai pas osé parce que Loutre n’a pas beaucoup de connaissances en psycho-pathologie des gallinacés) (moi j’ai lu « La psychose de la Wyandotte et de la Welsumer: comparatif des tableaux cliniques » trois fois).

Donc pendant trois semaines, c’était très calme dans notre jardin. Y’avait seulement Phelgmon qui gloussait au téléphone avec ses amis très intelligents, le Claude qui passait dans le champ d’à côté en nous criant des blagues à propos de nains hydrocéphales qui montent dans un avion russe, et ma maman qui nous demandait toutes les deux heures si on avait des nouvelles des poules.

Moi, je commençais quand même à m’inquiéter un tout petit peu et j’allais souvent voir dans le poulailler si Eva, Joy, Mama et les autres avaient pas envie de venir nous rejoindre pour faire un Monopoly. Mais chaque fois, je les trouvais couchées dans la paille et elles me regardaient avec un air pas aimable du tout, et j’avais l’impression d’avoir interrompu un tournoi de poker pas très légal dans la cave d’un restaurant italien, et je ressortais sur la pointe des pieds, et ma maman (qui ne surveille jamais ce qu’on fait entre sept heures du matin et minuit) me criait, depuis sa terrasse: « T’as des nouvelles des poules ? ».

Ca commençait vraiment à m’embêter cette histoire et je me demandais si elles étaient pas gravement malades, quand même.
J’y pensais beaucoup, et des fois même je quittais discrètement des réunions professionnelles en télé-conférence pour aller voir si elles étaient pas mortes.

– Encore besoin d’aller aux toilettes, la Chose ?
– Bah oui, je reviens tout de suite …
– Vous avez pensé à faire une analyse d’urines ? Vous avez envisagé la cystite ?
– Ou la prostate, mouahahahahaha !
– Ta gueule, Jean-Kévin.
– (Pardon)

Je revenais du poulailler en quatrième vitesse pour reprendre la réunion et je croisais ma maman, qui regardait ailleurs comme si elle était pas en train de surveiller ce que je faisais, et qui me disait « T’as des nouvelles des poules ? » comme si elle me demandait l’heure.

Le soir à table, j’arrivais pas à manger beaucoup, à cause de l’anxiété dans le dedans de moi qui prenait la place du flan au boulgour et à la coriandre de Loutre.

–  Ben tu manges rien ?
– Loutre, et si c’était un genre de cancer contagieux ?
– Le cancer n’est pas contagieux.
– Et si c’était une maladie grave collective, genre le choléra ou la peste ?
– Elles seraient mortes.
– Et si c’était le coronavirus ?

Et là, y’a mon téléphone qui s’est mis à vibrer, et j’avais un SMS de ma maman qui disait « Les poules peuvent attraper le CORONAVIRUS ??? »

Un matin, je suis allée voir dans le poulailler comme tous les matins à six heures (je mettais le réveil exprès depuis trois semaines) et là, j’ai un peu flippé parce qu’il y avait un genre de petit moineau dans le nid d’Eva, et Eva elle lui faisait comme des petits bisous, et j’ai trouvé ça trop mignon même si c’était flippant, et j’ai couru appeler Loutre.

– Loutre ! LOUTRE !
– Mmmmmkeskia ???
– Viens ! Lève-toi, viens j’te dis ! Tu vas adorer !
– Putain, il est SIX HEURES DU MATIN et on est DIMANCHE !
– Mais viens j’te dis !

J’ai emmené Loutre dans le poulailler, et là j’ai eu droit à la même tête que quand on est allés enterrer sa grand-tante Philomène à Cherbourg et que j’ai voulu aller prendre l’hostie à la fin de la messe de requiem en pensant que c’était une chips (le curé disait « et avec votre espriiiiiiiiit », les vieilles dames disaient « et avec votre espriiiiiiiit », et moi j’ai dit « putain, des Flodor ! », et Loutre m’a presque cassé le tibia avec son coup de pied, et j’ai dit des gros mots en yiddish et ça a fait des histoires).

– T’as vu ? T’as vu ? Eva, elle a adopté un p’tit moineau !
– ….
– Tu trouves pas ça juste trop MIGNON ? C’est une manifestation d’affection inter-espèces !
– ….
– Loutre ?
– Dis-moi un truc.
– Quoi ?
– Depuis trois semaines, t’as ramené ne serait-ce qu’un seul oeuf à la maison ?
– C’est quoi le rapport ?
– Réponds juste à la question.
– Ben maintenant que tu le dis, je me souviens pas avoir ramené d’oeuf à la maison, non. D’ailleurs on a voulu faire un gâteau au yaourt avec Phlegmon, et comme y’avait pas d’oeufs dans le frigo, on a pris de la Maizena qu’on a diluée dans de l’eau gazeuse pour remplacer, c’était franchement dégueulasse.
– ….
– Pourquoi ?
– Ton moineau, c’est un POUSSIN.

Et c’est comme ça qu’on a découvert Forrest Gump.

Trois heures après, on a fait la connaissance de Rainman et Sibeth, et j’étais trop, trop contente parce qu’on avait eu des POUSSINS.

Loutre c’était pas la joie et je l’entendais grogner, en se prenant la tête entre les mains « Elle est con, elle est con, mais qu’est-ce qu’elle est con », et je trouvais que c’était pas très gentil pour Eva, qui avait quand même passé trois semaines comme une momie (ou comme un de ces messieurs qui sont assis au Sénat quand tu regardes les débats sur La Chaine Parlementaire en attendant que ta partie de Call of Duty charge sur la console),  sans presque bouger, sans presque manger ni boire, ce qui n’est pas facile (des fois je me demande si les messieurs du Sénat ils vont aux toilettes, ou s’ils font directement dans leur culotte sans s’en rendre compte vu leur âge).

Moi j’ai foncé à la voiture pour aller au supermarché des agriculteurs et acheter plein de choses spéciales pour les poussins, et j’ai croisé ma maman dans la cour qui m’a dit « T’as des nouvelles des poules ? » et j’ai dit que oui, qu’elles avaient eu des triplés et que j’avais des choses de puériculture à aller chercher.

Le lendemain, on a rencontré Edouard et Ségolène, et encore le lendemain, on a découvert Tugdual et Côme.

Moi, j’ai planté une tente à côté du poulailler, comme ça je surveille que les gros oiseaux ne viennent pas manger les bébés, qu’ils ne tombent pas sur un dealer ou sur un type louche en imperméable qui voudrait leur refiler des bonbons, et qu’ils soient bien prudents quand ils apprennent à manger des cacas et des choses mortes par terre. Je trie les grains pour être bien bien sûre qu’ils ont accès qu’aux plus petits (ils pourraient s’étouffer et je veux pas), je change l’eau six fois par jour et je nettoie le poulailler matin et soir.

Ma maman s’est installée avec moi, les poussins adorent se percher sur son déambulateur et elle leur chante des berceuses juives en vérifiant qu’ils mangent suffisamment.

Loutre a pris la boite de Xanax qui était rangée dans la salle de bain et passe ses journées à regarder les publicités pour le monte-escalier Stannah, les conventions obsèques et les crèmes contre les varices et les hémorroïdes.

Depuis, on a une famille nombreuse avec un seul papa et trois mamans différentes, et tout le monde est très heureux.


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