René Depestre – Poème ouvert à tous les vents

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Tu as mis une paire d’ailes à ton art
Car tout poète sait quand c’est l’heure
De jeter ses dernières cages à la mer
Et de lever des voiles qui font route vers son identité.
A l’homme à qui on a tout pris : son nom,
Sa patrie, la fable de son enfance,
Le bois de ses souvenirs, sa rage de vivre.
A cet homme à qui on a enlevé ses jambes
Pour qu’il reste à jamais coincé dans ses cris.
A cet homme brisé, fourvoyé dans sa peau.
Je lègue ma fureur et mon bruit, je remets
Une colline que tous les vents traversent
Pour qu’il soit toujours en train de se battre
Et qu’il n’arrête jamais de frapper les papes
Qui volent à la vie ses perles et son orient.
A cet homme que l’horreur infinie du monde
N’a pas encore vaincu, à cet homme dompteur
Des métaux de son sang, géomètre des courbes
Lyriques de la femme, et qui répète que
La vie humaine est la fumée d’un incendie
Dont le nom n’apparaît dans aucun idiome.
A cet homme né sur un ordre du rossignol
Et à qui le feu confie ses bêtes de proie
Je réveille son droit de réinventer l’homme.
Je luis dis : « Suis-moi. Je suis le vieux soleil
Qui émerge de la douleur pour mieux sauter
Dans la vie du siècle et pour combattre
Sa routine et ses malheurs. Viens avec moi,
Homme qui ressemble à l’aventure des flammes
Et des illusions qui protestent dans mes yeux ! »

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René Depestre (né en 1926 à Jacmel, Haïti)René Depestre ou L’Odyssée de l’Homme-Rage de vivre (Les Hommes sans Épaules n°50, 2020)