Après les différents plans de soutien sectoriels et les mesures d'urgence, le gouvernement s'est enfin décidé à annoncer les détails d'un plan de relance global attendu depuis longtemps et reporté une première fois le 25 août. Mais au fond, que faut-il espérer des 100 milliards d'euros qui seront injectés dans l'économie ? S'agit-il enfin d'imaginer les contours d'un nouveau monde en phase avec les priorités sociales, écologiques et économiques, tout en s'en donnant les moyens ? Rien n'est moins sûr...
100 milliards d'euros
Après près de deux mois de confinement strict, le recul de l’activité et de la consommation des ménages en France était de l'ordre de 35 % ! Face au désastre économique et social à venir, le gouvernement n'eut guère d'autre choix que d'annoncer des mesures d’urgence en faveur des entreprises : délais pour les échéances sociales et fiscales, report du paiement des loyers et factures, fonds de solidarité, prêt garanti par l’État, rééchelonnement des crédits bancaires, plan de soutien aux entreprises françaises exportatrices, chômage partiel... Puis vinrent les plans d’aide sectoriels (tourisme, aéronautique, commerce, livre, automobile, entreprises technologiques, BTP...) à plusieurs milliards d'euros, qui laissèrent tout de même le sentiment d'une absence de vision globale.
Il ne restait plus au gouvernement qu'à annoncer un plan global de relance, certes après changement du maestro adjoint. C'est ce que vient de faire le Premier ministre, Jean Castex, en évoquant 100 milliards d'euros soit quatre fois plus que lors de la crise de 2008 :
[ Source : France bleu ]
Et voici la version petit dessin d'illustration, tel qu'on le trouve sur le site du gouvernement :
[ Source : https://www.gouvernement.fr/france-relance ]
Objectif du plan ? Laissons la parole au gouvernement : "Sans nouvelles mesures, la France sortirait de la crise fin 2021 avec un écart de richesse par rapport à 2019 de 4 points de pourcentage de PIB, soit 100 Md€ de richesse manquante. L’ambition du plan de relance est de combler cet écart pour retrouver dans deux ans la richesse d’avant-crise".
De l'argent magique ?
En ces temps où les Banques centrales sont capables d'injecter des centaines de milliards d'euros ou de dollars sur les marchés en une seule nuit pour sauver le système financier, il est légitime de se demander d'où viennent ces 100 milliards d'euros. Jean Castex apporte la réponse lumineuse suivante : "Je veux rappeler ici de façon très solennelle que grâce à l’accord historique obtenu par le président de la République avec la Chancelière, nous bénéficierons d’un financement européen de ce plan de relance à hauteur de 40 milliards d’euros. Sur tous les projets dans les territoires, que ce plan va financer, l’Europe sera présente à hauteur de 40 %. Nous avons par ailleurs fait le choix d’une relance fondée sur des dépenses non pérennes,qui représentent 80 % du plan".
Bref, en cherchant à démêler tout cela, on en déduit que 20 milliards proviennent de fonds existants et 80 milliards sont à trouver dont 40 milliards récupérés des fonds européens. Le tout sans hausse d'impôts d'après l'engagement du Premier ministre. Il reste donc la dette publique, qui n'est pas un problème en ce moment au vu des très faibles taux d'intérêt et de la vaste entreprise de monétisation des dettes publiques mise en œuvre par la BCE (achat des titres de dette publique aux investisseurs contre de la monnaie créée par la Banque centrale européenne). Mais à l'arrivée, je parie que l'on verra refleurir une communication gouvernementale destinée à vendre aux Français des politiques économiques zombies du type augmenter le temps de travail, baisser les dépenses publiques pourtant très importantes en temps de crise, etc.
Cohésion, compétitivité et écologie au menu
Ce plan de relance est constitué de trois volets : la cohésion sociale et territoriale (35 milliards d'euros), la compétitivité (35 milliards d'euros) et l'écologie (30 milliards d'euros). Le premier volet s'appuie sur le constat que "pour éviter la hausse des inégalités en France en raison de l’impact économique de la crise, la relance doit aussi être une relance sociale et territoriale". Il est vrai qu'ainsi présenté, l'on finirait même par oublier que l'ouverture des inégalités ne date pas de la crise du covid-19. Pour assurer la cohésion sociale, il est donc prévu entre autres :
- un Ségur de la santé,
- un accompagnement vers l’emploi notamment pour les jeunes et les handicapés,
- la poursuite des dispositifs d’activité partielle et de formation durant ces périodes d'activité partielle,
- un soutien aux personnes précaires (majoration de l’allocation de rentrée scolaire, hébergement d’urgence, plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté),
- des aides à la cohésion territoriale (relance de la banque des territoires, soutien aux collectivités tellement méprisées au début du mandat...)
Le volet compétitivité, à la manière dont il a été présenté, prouve qu'il est l'objectif principal du gouvernement, ne serait-ce qu'en raison des termes choisis : "favoriser le développement d’activité à forte valeur ajoutée en France", "rendre notre économie plus compétitive", "indépendance technologique", etc. D'où les annonces suivantes parmi d'autres :
- la baisse des impôts de production pour 20 milliards d'euros, réclamée à cor et à cri par le patronat depuis une décennie,
- le renforcement des fonds propres des entreprises,
- l’investissement dans le numérique et la santé,
- le soutien à la culture,
- le renforcement du soutien à la recherche,
- la formation.
Et pour montrer qu'il a tout de même pris un peu la mesure de la crise écologique, malgré les récentes palinodies sur les pesticides, 30 milliards d'euros sont prévus pour accompagner la transition écologique, avec pour objectif de rendre l’économie française plus économe des ressources naturelles et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. D'où les mesures suivantes notamment :
- la rénovation thermique des bâtiments,
- l’aide à la décarbonation de l’industrie,
- un bonus écologique,
- une prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule propre,
- le développement des transports en commun,
- la transformation du secteur agricole,
- la recherche et l’innovation pour le développement de technologies vertes (filière hydrogène, matériaux recyclés...).
Ces mesures seront déclinées progressivement jusqu'en 2022, avec un suivi effectué par un comité de pilotage, ce qui ne manque pas de susciter quelques interrogations sur la nature de ce plan : est-ce un plan de relance à court terme ou un plan d'investissements structurels ? Avec seulement 30 % des 100 milliards engagés en 2021, la partie conjoncturelle est donc loin d'être majoritaire dans ce plan réputé être de relance à court terme. Mais les mots ont-ils encore un sens ?
Une politique de l'offre pour soutenir la croissance
En tout état de cause, les mesures annoncées dans ce plan de relance ne laissent planer aucun doute sur le type de politique économique suivi par le gouvernement : l'essentiel est du côté de l'offre, afin que "la France retrouve dès 2022 le niveau de richesse d'avant crise". La mobilisation de l'épargne forcée des ménages et plus généralement la demande n'auront finalement pas été la principale motivation de ce plan, contrairement à l'Allemagne et au Royaume-Uni qui n'ont pas hésité à baisser la TVA, de manière ciblée pour le second.
Bref, retour à la case croissance... Et encore, le Premier ministre n'ose guère s'aventurer à jouer les augures et préfère se rabattre sur un objectif de création d'emplois en 2021, dont on sait qu'il n'a aucune portée réelle s'il n'est accompagné d'objectifs qualitatifs concernant le travail :
Notons que la crise aura servi d'effet d'aubaine pour certaines vieilles revendications des entreprises, comme la baisse des impôts de production pour 20 milliards d'euros en 2021 et 2022, réclamée à cor et à cri par le patronat depuis une décennie. Dans le détail, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) les taxes foncières (CFE et TFPB) seront divisées par deux. Et tout cela sans contrepartie autre qu'une incitation à recruter des jeunes et des apprentis. Quant à croire qu'un milliard d'euros serviront à relocaliser massivement des industries en France, cela relève du domaine de l'incantation, ce que tend à prouver l'emploi de l'expression "souveraineté économique" par des gens qui font tout pour la perdre...
Autrement dit, pendant que certains se payent de mots d'autres se payent de promesses ! Les syndicats l'ont bien compris et même la CFDT, après avoir fait remarquer que ce plan donnait de très grandes marges de manœuvre aux entreprises, se demande désormais comment l'on peut s'assurer que ces fonds seront bien utilisés pour sauvegarder et créer des emplois de qualité... Pourtant, c'est peu dire que le travail a été ravagé par la perte de sens et de qualité ses trente dernières années !
Même BFM ne s'est pas trompée sur l'objectif de ce plan :
On se demande du reste quelle mouche a piqué le Premier ministre pour qu'il se sente obligé d'affirmer que "ce plan est un cadeau à la France pour relancer l'économie et lutter contre le chômage". La compréhension de cette phrase mériterait une analyse freudienne tant elle confond allègrement nation et État.
En définitive, ce plan servira avant tout à renouer au plus vite avec le monde d'avant, ce dont le gouvernement ne fait d'ailleurs pas grand secret. C'est bien la preuve que l'imaginaire des dirigeants économiques et politiques - trop souvent interchangeables - est encore colonisé par une idéologie néolibérale mortifère !