Pour faire suite à ma précédente note, Refonder, encore et toujours ?, un extrait d'une note de février 2019 : Culture : le paradoxe de la « refondation .
(...)
Dans ce foisonnement de prises de position, déclarations et propositions, on n'en finirait pas de dénombrer les manifestes qui affirment qu'il faut tout changer, refonder, reconstruire...
A mesure que les décisions de ceux qui détiennent le pouvoir ne cessent de s'affairer de manière systématique à l’obsolescence des plans et effets d'annonce et à la durabilité de la désorganisation, les dynamiques porteuses d'alternative sont contenues dans les marges et sous le plafond de verre des avantages acquis et du désordre établi.
(…)
L'avenir a une histoire.
Un possible chemin de traverse consisterait à rappeler les moments successifs où l’État s'est interrogé (ou s'est trouvé interrogé) sur ses impasses et la nécessaire « refondation » de sa politique culturelle. Dès avant le rapport de Jacques Rigaud Pour une refondation de la politique culturelle (1996), la mise en cause des dix premières années du Ministère de la Culture dans la Déclaration de Villeurbanne en 1968 ; puis le nouveau référentiel du développement culturel et la Déclaration finale du colloque d'Arc-et-Senans -sur la Prospective du développement culturel -1972) , etc. viennent ponctuer une longue histoire d'appels au renouveau.
En d'autre termes, on pourrait creuser cette piste : dans une démocratie, la légitimité de l’intervention du (des) pouvoir(s) dans les champs artistique et culturel ne va jamais de soi, doit sans cesse être réinterrogée... au même titre que la démocratie elle-même.
« Je conçois la culture comme ce processus d’auto-création de l’homme par la culture, et j’essaie de travailler sur ce que cela signifie pour la démocratie. Il ne peut pas y avoir de projet de démocratie réelle s’il n’y a pas de place pour la culture et la création »
Catherine Trautmann « Lumière sur l’Europe », in Culture publique, Opus 3, Sens et Tonka éd., 2005
D'où un possible et salutaire pas de côté à l'égard des fausses évidences du « secteur culturel », la nécessaire rupture avec l'entre soi d'un « monde de la culture ».
Dans la même perspective, on peut aussi se rendre attentif et travailler sur l'écart entre les idées reçues et les périmètres convenus sur lesquels s’entendent élus et professionnels et les représentations de la culture portées par nos concitoyens :
Les représentations de la culture dans la population française , J.M. Guy, (DEPS, Ministère de la Culture,2016).
En finir avec « la » culture ?
« J’ai souvent pensé que l’éducation n’était pas assez culturelle et que la culture se souciait trop peu d’éducation. Aussi, ma première entreprise sera-t-elle de faire fusionner les deux Ministères. Le Ministère des Savoirs, tel deviendra son nom - celui de « Culture Nationale » revêtant des consonances suspectes, quand celui d’« Éducation Culturelle » présente un petit côté patronage assez malheureux - aura pour mission d’ouvrir davantage l’école à la culture et d’orienter clairement la politique culturelle vers l’éducation ». (…)
Cecile Ladjali Un ministère des savoirs, L'HUMANITÉ, MARDI, 11 AVRIL, 2017
A de rares exceptions près -comme ci-dessus-, le paradoxe des appels à « refonder » les politiques culturelles est qu'ils contribuent à reconduire la catégorie « culture ».
En oubliant qu'il s'agit bien plus fondamentalement de refonder les politiques, et bien plus radicalement de redonner sens et valeur au politique.
La spécificité de l'artistique et l'exception culturelle n'autorisent pas à négliger le droit commun de toute action publique en temps de crise.
Pour des politiques publiques cohérentes et articulées, la règle générale devrait être de mettre en avant la délibération, la coopération, la participation et le contrôle citoyen. Ce sont des principes qui valent pour tous les champs de même que la rigueur dans l'expertise des configurations, l'intelligence et le courage dans la fabrication des agencements pragmatiques. Le décloisonnement administratif, la cohérence stratégique et l'efficience tactique devraient nourrir des politiques transverses et en interaction les unes avec les autres, agir sur un écosystème où l'attention aux cultures plurielles s'articule avec l'instruction, l'éducation, la formation, la solidarité et les dynamiques territoriales.
Dès ses premiers travaux , l'Institut de coopération pour la culture, contre les routinisations du « monde de la culture », s'est efforcé de mettre en exergue les valeurs humanistes qui devraient être au fondement de l'action publique en faveur de « la culture » : émancipation, solidarité, délibération :
« La responsabilité de la puissance publique n'est-elle pas d'agir sur cette articulation entre singularité et socialisation, avant que le marché ne s'en occupe exclusivement ? ».
Au cœur de la diversité culturelle et de la multiplicité des appartenances, elle doit créer pour chacun les conditions lui permettant de s'élever, de se libérer des conditionnements y compris les plus profondément intériorisés ce qui constitue un appel à creuser la notion de laïcité culturelle.
(...)
J.C. Pompougnac, 11 septembre 2017.
Note interne pour l'Institut de Coopération pour la Culture.
« Il devrait y avoir en toute constitution un centre de résistance contre le pouvoir prédominant et, par conséquent, dans une constitution démocratique un moyen de résistance contre la démocratie ».
John Stuart Mill, Considérations sur le gouvernement représentatif. (1861)