La Lune est le symbole universel du temps, du devenir organique. Elle semble disparaître pour réapparaître et croître à nouveau, comme le printemps, comme la vie.
Pleine d'un nectar frais et source des pluies fertiles, elle décroît pourtant bel et bien au fil d'une quinzaine.Pourquoi ?
Elle décroît parce qu'elle nourrit et abreuve l'univers. L'univers, ce sont les dieux, c'est-à-dire les faculté du corps et de l'esprit.
Voici ce qu'en dit Abhinavagupta dans le Tantrâloka, avec le commentaire de Jayaratha (VI, 95-96, traduction ancienne, littérale et sans doute à revoir) :
"Le nectar en forme de Lune est divisé en seize [portions], lesquelles se répartissent en deux [sortes]. 95Tous les dieux s'abreuvent des quinze portions autres [que la portion Immortelle]. "Celle qui est avec [le Soleil] » (amā), est la [portion] restante qui se tient à l’intérieur de la cache [du Cœur. Elle est donc] l’Imperissable qui nourrit tout l’univers. 96
Jayaratha : Le nectar en forme de Lune, différencié en seize modalités est, de plus, de deux sortes : en tant que les seize portions en forme d’expir visible actuellement (dṛśyamānaḥ), et en tant que cette portion de la couleur d’une eau blanche très limpide lui servant de support. Tel est le sens. Là, les 15 portions sont tous les dieux extérieurs, etc. Et elles sont aussi, à l’intérieur, les organes et leur objets/effets, désireux de se nourrir, de s’abreuver, par quoi y a en la [Lune] chaque jour un déclin. Dans cette même intention, il est dit, là et ailleurs :
« Quand la lune est bue chaque jour par les hommes, les mânes et les dieux, elle entre dans l’anéantissement... » (Sāmbapañcāśikā, 8)
De plus, la seizième portion appelée « celle qui demeure avec [le soleil] » (amā) est un « reste » (śeṣa), car c’est sa nature d’être pénétrée (āviṣṭa) par les quinze portions récoltées par les dieux, etc. C’est pourquoi, étant bien protégée comme un trésor dans une cache, elle ne peut être anéantie. Tel est le sens. Puisque elle nourrit l’univers en tant qu’elle embrasse en elle-même les quinze portions, elle est donc « celle qui demeure simultanément », car les quinze portions habitent simultanément en elle. Voilà pourquoi on peut l’appeler « celle qui demeure simultanément » (amāvāsyā). Tel est le sens.
Par ailleurs, puisqu’[elle] règne sur les [jours lunaires], elle peut secondairement (aupacārika)2 être appelée « jour lunaire ». Telle est l’intention [de ces verset d'Abhinavagupta]."
La Lune subtile, est l'espace divin au-dessus de la tête, vide dont s'écoule l'ambroisie qui anime l'âme. Elle transcende les quinze portions qu'elle nourrit, les quinze facultés du corps et de l'esprit. Elle se vide pour les remplir. Mais elle ne se vide jamais complètement. Une seizième et ultime portion demeure toujours, immortelle et source de vie sans déclin. Elle est le silence à la fin de l'expir.
Dans la pratique, on sent que le souffle expiré monte à la verticale, au-dessus de la tête, jusqu'à "la Fin des Douze" à environ vingt centimètres au-dessus de la fontanelle, domaine de l'énergie la plus affinée, du vide qui remplit tout, de qui tout s'épanche et en qui tout retourne se cacher. Dans l'absence éclatante qui se révèle à la fin de l'expir, à la fin apparente d'un cycle de vie, la vie véritable se réveille.
D'où l'importance de cet enseignement sur la seizième portion de la Lune, la Lune Nouvelle, l'Impérrissable.