Je veux me lever tôt encore un matin,
avant le soleil. avant les oiseaux, même.
Je veux m’asperger le visage d’eau froide
pour être à ma table de travail
quand le ciel s’éclaire et que la fumée
commence à monter des cheminées
des autres maisons.
Je veux voir les vagues se briser
sur cette plage rocheuse, pas seulement les entendre
se briser comme j’ai fait toute la nuit dans mon sommeil.
Je veux voir encore les bateaux
franchir le détroit venus de tous
les pays maritimes du monde —
les vieux rafiots crasseux qui avancent à peine,
et les cargos flambants neufs
peints de toutes les couleurs existant sous le soleil
qui fendent l’eau quand ils passent.
Je veux guetter leur apparition.
et le va-et-vient des petits bateaux
entre les navires
et le poste du pilote près du phare.
Je veux les voir embarquer un homme descendu du navire
et en faire monter un autre à bord.
Je veux passer la journée à observer cette opération
et parvenir à mes propres conclusions.
J’ai horreur de sembler insatiable — j’ai tant de sujets
de gratitude déjà.
Mais je veux me lever tôt encore un matin, au moins.
Et aller m’asseoir avec du café et attendre.
Attendre c’est tout, pour voir ce qui va se passer.
*
At Least
I want to get up early one more morning,
before sunrise. Before the birds, even.
I want to throw cold water on my face
and be at my work table
when the sky lightens and smoke
begins to rise from the chimneys
of the other houses.
I want to see the waves break
on this rocky beach, not just hear them
break as I did all night in my sleep.
I want to see again the ships
that pass through the Strait from every
seafaring country in the world—
old, dirty freighters just barely moving along,
and the swift new cargo vessels
painted every color under the sun
that cut the water as they pass.
I want to keep an eye out for them.
And for the little boat that plies
the water between the ships
and the pilot station near the lighthouse.
I want to see them take a man off the ship
and put another up on board.
I want to spend the day watching this happen
and reach my own conclusions.
I hate to seem greedy—I have so much
to be thankful for already.
But I want to get up early one more morning, at least.
And go to my place with some coffee and wait.
Just wait, to see what’s going to happen.
***
Raymond Carver (1938-1988) – Where Water Comes Together With Other Water (1985) – Où l’eau s’unit avec l’eau (Points, 2016) – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet, Jean-PIerre Carasso et Emmanuel Moses.