Svletana Aleksandrovna Alexievitch (Святлана Аляксандраўна Алексіевіч), La Fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement, suivi de A propos d'une bataille perdue (Discours de réception du Prix Nobel de littérature en 2015), texte précédé de Repères chronologiques, Paris, Babel, 2013, 676 p., traduction de Sophie Benech, 12 €. Titre russe : "Время секонд хэнд (Конец красного человека).
- Derniers témoins, Paris, 10/18, 401p., traduction de Anne Coldefy-Faucard, 8,4 €. Titre russe : Последние свидетели
- La supplication. Tchernobyl, chronique du monde d'après l'apocalypse, Paris, 1998, Editions Jean-Claude Lattès, 253 p., traduction de Galia Ackerman et Pierre Lorrain, 7,6 €. Titre russe : Чернобыльская молитва. Хроника будущего
- La guerre n'a pas un visage de femme, Paris, 415 p., traduction de Galia Ackerman et Paul Lequesne, 8,8 €. Titre russe :У войны не женское лицо
- "Les cercueils de zinc", Titre russe : "Les garçons de zinc", Цинковые мальчики), 2018, Acte Sud, 328 p. Traduction de Bernadette du Crest et de Wladimir Berelowitch
et, sous la direction de Jean-Philippe Jaccard, Annick Morard et Nathalie Piégay, Svletana Alexievitch : la littérature au-delà de la littérature, Genève, Editions de la Baconnière,175 p., 20 €
Voici cinq des cinq principaux ouvrages de l'écrivain russe, ou du moins écrivant en russe ; elle est née d'une mère ukrainienne et d'un père biélorusse. Membre des komsomols (jeunesse communiste), elle est diplômée de journalisme de l'université de Minsk. Svletana Alexievitch conduit ses livres comme des enquêtes, patiemment, écoutant minutieusement les témoins qu'elle rencontre et interroge, ou, plutôt, qu'elle laisse parler. "Nous sommes en train de faire nos adieux à l'époque soviétique. A cette vie qui a été la nôtre. Je m'efforce d'écouter honnêtement tous ceux qui ont participé au drame socialiste..." : ainsi commence "La fin de l'homme rouge" dont le titre complet est "Vremia sekond khend. Konets krasnogo cheloveka", soit «L’époque de seconde main. La fin de l’homme rouge ». Ce qu'elle résume ainsi : "Mon intérêt pour la vie ne se situe pas dans l'événement en soi, pas dans la guerre pour elle-même, pas dans ou pour le suicide. Ce qui m'intéresse est ce qui se passe pour l'être humain, ce qui lui arrive dans notre temps".
Son genre littéraire, les documents qu'elle produit, transforment la littérature et se situent peut-être bien au-delà des fictions littéraires. Ce que rédige Svletana Alexievitch ce sont des sortes de comptes-rendus sociologiques d'événements vécus. Elle est armée d'un magnétophone et elle écoute. On lui parle : "Moi, j'écoute... Je me métamorphose de plus en plus en une seule grande oreille sans relâche tournée vers l'autre. Je "lis" les voix..." ou encore, plus loin, "Je n'écris pas sur la guerre, mais sur l'homme dans la guerre. J'écris non pas une histoire de la guerre mais une histoire des sentiments". Il faudrait citer longuement Svletana Alexievitch ; car ses livres prennent les lecteurs et ne les lâchent pas. Aussi, peut-elle écrire, par exemple : "Je recompose une histoire à partir de fragments de destins vécus, et cette histoire est féminine. Je veux connaître la guerre des femmes, et non celle des hommes. Quels souvenirs ont gardé les femmes ? Que racontent-elles ? Personne ne les a écoutées... Les filles de 1941".
"Flaubert a dit de lui-même qu'il était un "homme-plume". Moi, je peux dire que je suis une femme-oreille. Quand je marche dans la rue et que je surprends des mots, des phrases, des exclamations, je me dis toujours : combien de romans qui disparaissent sans laisser de traces !" "On a besoin d'une littérature qui soit au-delà de la littérature. C'est le témoin qui doit parler". "Qu'est-ce que je fais ? Je recueille les sentiments, les pensées, les mots de tous les jours. Je recueille la vie de mon époque. Ce qui m'intéresse, c'est l'histoire de l'âme. La vie quotidienne de l'âme"... "Mais il est difficile de parvenir jusqu'à l'âme d'un homme, elle est encombrée des superstitions, des partis pris et des mensonges de son temps. De ce qu'on entend à la télévision, de ce qu'on lit dans les journaux". "Ce qui m'intéresse, c'est le petit homme. Le grand petit homme, pourrais-je dire, car la souffrance le grandit".
Voilà ce que l'on peut écrire pour donner envie de lire l'oeuvre de Svletana Alexievitch, cette "littérature au-delà de la littérature". Il faut la lire. La littérature n'est pas un divertissement. On peut contester l'imperfection de sa méthode dite parfois documentaire, mais cette méthode est efficace.
Bon, il m'en reste encore un à lire : "Les cercueils de zinc" (en russe, "les garçons de zinc", Цинковые мальчики), sur la guerre en Afghanistan.