ATTENTION ! Article contenant des spoilers !
Comme toujours, l’objectif de l’article n’est pas de proposer une interprétation exhaustive du film, pas plus qu’une analyse en profondeur de chacune des scènes. Ce travail, en plus d’être fastidieux, empêcherait à mon sens de se construire sa propre explication sur base de son ressenti personnel. L’idée est plutôt de revenir sur quelques points clés du scénario afin de répondre à certaines questions qui se posent à l’issue du visionnage, et ainsi permettre à ceux qui le souhaitent de pousser la réflexion. A ce titre, j’en profite pour rappeler que, bien que se basant sur des éléments aussi objectifs que possible, cette interprétation demeure personnelle et n’a donc aucunement l’intention de se substituer à une autre (peut-être tout aussi viable).
Avant de plonger dans mon interprétation proprement dite du film, il me paraît important tout d’abord de rappeler succinctement, mais de manière aussi claire que possible, le déroulé des événements afin de bien comprendre ce qui se joue sous nos yeux. Pour ce faire, il est absolument capital de distinguer les deux grandes parties du long-métrage, qui illustrent les deux grandes timelines du récit : celle linéaire, qui prend fin au moment où le Protagoniste entre dans la machine à inversion ; et celle inversée, qui commence dès qu’il en ressort.
La première est relativement simple à appréhender. Que nous montre-t-elle concrètement ? A la suite d’une mission se déroulant à l’Opéra de Kiev, et ayant pour but de récupérer un objet mystérieux, le Protagoniste (John David Washington), un agent secret de la CIA, est recruté par une organisation obscure, appelée Tenet, dans le but d’empêcher la Troisième Guerre Mondiale. Pour mener à bien son opération, il est mis en contact avec Neil (Robert Pattinson), un autre agent secret dont on ne sait pratiquement rien (au départ). Ensemble, ils découvrent l’existence de balles inversées et identifient le truand russe Andrei Sator (Kenneth Branagh) comme le possesseur de ces balles. Pour tenter de l’approcher, ils mettent au point un impressionnant braquage dans la zone de port franc de l’aéroport d’Oslo afin de dérober l’un de ses tableaux. Au cours de celui-ci, ils font la découverte d’un inverseur (tourniquet à double entrée/sortie permettant l’inversion) et se retrouvent confrontés à deux hommes masqués, dont l’un est inversé. Dans la foulée, le Protagoniste réussit enfin à rencontrer Sator et planifie pour lui de voler une mallette censée contenir du plutonium. Contraint de remettre la mallette à Sator pour sauver Kat (Elizabeth Debicki), sa femme, il est finalement fait prisonnier par les hommes du terroriste. Avec l’aide de Neil et de forces spéciales, il parvient à se libérer et part immédiatement à la poursuite de Sator en empruntant le tourniquet dans lequel ce dernier vient de disparaître.Dès que le Protagoniste franchit le tourniquet, la seconde timeline (inversée donc) débute. Après avoir quitté les installations, il tente de récupérer la mallette mais son projet échoue lors de la course-poursuite sur l’autoroute, démontrant que ce qui s’est passé dans la timeline linéaire se déroulera forcément dans celle inversée. Afin de sauver Kat, qui a été blessée par balle, le Protagoniste et Neil retournent à Oslo pour y emprunter le tourniquet, dévoilant par la même occasion l’identité du mystérieux homme masqué de la première partie (le Protagoniste lui-même). Une fois Kat hors de danger, le duo accompagné des forces spéciales décident d’empêcher Sator de mener à bien son plan d’extermination. L’ensemble de l’équipe remonte ainsi le temps par inversion afin d’éviter le rassemblement des 9 artefacts nécessaires à la fabrication de l’algorithme responsable dans le futur de l’inversion de la planète, et donc de la destruction de l’humanité. En parallèle de l’opération militaire, Kat du présent revient sur le yacht au Vietnam (où sa version passée vient de partir à terre avec son fils) dans le but d’occuper Sator du présent (dont la version passée vient de quitter les lieux en hélicoptère) avant qu’il ne se suicide et provoque ainsi l’échec de la mission. L’opération est un succès et Kat du présent finit par tuer Sator du présent avant le retour de sa version passée.
Une fois cette base narrative posée, et grâce à la multitude d’informations distillées dans le film, il est désormais possible d’avoir une vision plutôt globale de l’histoire. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, celle-ci commence dans le futur, sans jamais pourtant être montrée à l’écran. Dans ce futur (que l’on peut estimer à quelques dizaines d’années), l’humanité met au point une technologie capable d’inverser l’entropie des objets et des corps. Sur base de cette technologie, une scientifique développe ensuite un algorithme permettant d’inverser l’univers tout entier, ce qui aurait pour effet de régénérer la planète d’un point de vue climatique mais de détruire tous ceux présents au moment de son activation (potentiellement tout le monde si l’on en croit l’organisation Tenet). Voulant à tout prix éviter l’extermination totale, elle décide de séparer la machine en 9 artefacts distincts et de les cacher par inversion. C’était toutefois sans compter certains humains du futur qui vont recruter Sator dans les années 70-80 pour l’orienter dans la quête des 9 objets. Alors jeune adulte en charge de déterrer des restes nucléaires en Russie, Sator va effectivement découvrir une boîte envoyée du futur contenant des lingots d’or, ainsi que – probablement – des instructions précises pour retrouver les artefacts. Ce sera la quête de sa vie, qu’il mènera en utilisant les tourniquets laissés pour lui par ses amis du futur. Une bonne façon d’avoir toujours un temps d’avance sur ses opposants.Alors qu’il est en passe d’atteindre son objectif, Sator va être ralenti par le Protagoniste, récemment recruté par l’organisation Tenet. Une organisation du futur dont le Protagoniste est sans doute certainement aussi le créateur, comme le film nous le suggérera un peu plus tard. Sur le point de boucler sa mission, Sator décide d’inverser le temps pour revivre un dernier moment avec sa femme sur son yacht au Vietnam. Après quoi il pourra mettre fin à ses jours et provoquer l’explosion de la bombe dans la grotte soviétique où se trouve l’algorithme à destination des terroristes du futur. S’il trouvera bien la mort à l’issue de l’opération, assassiné par Kat dans un dernier geste vengeur, le Protagoniste, Neil et Ives (Aaron Taylor-Johnson) parviendront néanmoins à récupérer l’objet avant l’explosion. Lors du dernier échange entre Neil et le Protagoniste, on comprend alors que c’est ce dernier qui l’a recruté au sein de Tenet et formé pour l’accompagner précisément dans cette série d’événements. Simplement, ce moment n’est pas encore arrivé pour le Protagoniste que l’on suit à l’écran, il n’arrivera que dans le futur. Probablement en rencontrant un jeune Neil d’ici quelques années et en le renvoyant dans le passé pour s’aider lui-même à gérer la situation. Ce qui expliquerait pourquoi Neil semble aussi bien s’y connaître en entropie inversée et pourquoi il semble également savoir exactement ce qu’il a à faire. A l’image par exemple de son sacrifice final dans la grotte.
Un sacrifice révélé non seulement par le dernier dialogue entre les deux hommes, mais aussi et surtout par la présence d’une ficelle rouge au sac à dos de Neil. Celle-là même que l’on identifie quelques instants plus tôt au sac à dos du corps de l’homme masqué dans la grotte. Au péril de sa vie, et en toute connaissance de cause, Neil a donc provoqué, par inversion, l’ouverture de la grille permettant au Protagoniste de récupérer l’algorithme avant l’explosion de la bombe. Le long-métrage nous montre d’ailleurs clairement cette succession d’événements : retour de la balle vers l’arme, retour à la vie de l’individu au sol et déverrouillage de la porte. A noter également que cette fameuse ficelle rouge peut également être aperçue lors de l’ouverture du film à l’Opéra de Kiev, lorsqu’un homme masqué vient en aide au Protagoniste, dévoilant pour la première fois le phénomène d’entropie inversée. Tout porte donc à croire que le Protagoniste a élaboré dans le futur un plan minutieux avec Niel afin, d’une part, de contrecarrer la mission de Sator, et d’autre part, de permettre la réalisation d’événements nécessaires à la création de Tenet. Dans cette optique, il y a également fort à parier que les interventions de Priya (Dimple Kapadia), qui semblent à première vue favoriser la réunification de l’algorithme au dépens du Protagoniste, soient consciemment voulues par ce même Protagoniste dans le futur.Au rang des suppositions, on pourrait même imaginer que Max et Neil sont la même personne (ils sont blonds tous les deux), et que la volonté de sauver Kat, parfois au détriment de la mission principale, est donc aussi dictée par la nécessité que son fils devienne qui il doit devenir (à son contact). Lors du retour par inversion à Oslo, Neil et Kat ont d’ailleurs une conversation intéressante, dont je ne me rappelle malheureusement plus précisément les détails, qui pourrait tout à fait s’avérer capital pour l’éducation de Max. D’un point de vue temporel, l’hypothèse semble en tout cas tenir la route puisque le jeune âge de l’enfant laisse toute la place à son apprentissage, sa formation auprès du Protagoniste puis son retour par inversion aux événements auxquels on assiste dans le film. Bien sûr, d’autres visionnages s’imposent pour détecter si d’éventuels indices ont été glissés par Nolan pour corroborer cette théorie. Le plus parlant serait bien évidemment la présence de cette fameuse ficelle rouge auprès de Max. Quoi qu’il en soit, la vie de Kat, et par extension celle de Max, semble particulièrement importante, tant pour Neil que pour le Protagoniste. Ce dernier n’hésitera d’ailleurs pas à éliminer Priya afin de protéger Kat lors de l’une des dernières scènes du film.
En définitive, vous l’aurez compris, qu’on adhère ou pas au projet, Tenet est une œuvre qui mérite néanmoins le coup d’œil pour le spectacle grandiose qu’elle propose et la réflexion à laquelle elle invite. Nul doute que plusieurs visionnages seront nécessaires pour en appréhender véritablement toute la richesse et trouver des pistes d’explication pour certains des passages les plus obscures. A l’image par exemple de cette course-poursuite inversée à Tallinn dans laquelle Kat (logiquement inversée) ne porte étonnamment aucun masque respiratoire. L’incohérence est tellement flagrante que je n’ose imaginer que Nolan n’y ait pas songé. Un élément a probablement dû m’échapper.Quoi qu’il en soit, j’espère que cet article vous aura permis d’y voir un peu plus clair, et ainsi de vous faire votre propre opinion. Comme d’habitude, n’hésitez pas à réagir par commentaire si vous avez des questions, des remarques ou même, qui sait, une approche différente de la mienne. C’est tout l’intérêt de l’article.