D’une modestie extrême, sans l’apparence de s’inquiéter, Patrick Ganthier dit Killy (1966- ) est, mine de rien, un artiste qui retient l’attention depuis plus de dix ans.Étant passé de la fabrication de fanaux de Noël aux sculptures en matériaux de récupération, du dessin au Centre d’art à l’expérience de la rotation artistique chez Jean Claude Garoute (Tiga) et à la pratique de la gravure, on peut le croire un touche-à-tout. A mon avis, il était et est encore un curieux, un chercheur infatigable qui a essayé, qui s’est trompé parfois dans sa quête d’un moyen de véhiculer au mieux ce qu’il voit avec son cœur. Rien ne l’arrêtait, et la force dont il a fait preuve pour surmonter son handicap physique en est la preuve.
J’ai rencontré son œuvre pour la première fois, en 2008, lors de son exposition « Grandir et Mourir » au MAI de Montréal. Il avait fait de son mieux mais sa vaste exposition ressemblait à un trop long discours aux formes variées : sculptures, installations…. Mais, il y avait dans cet espace bien trop grand pour une première exposition individuelle, quelques phrases fortes : des monotypes qui comme l’a dit Mireille Jérôme, « traduisent une conscience émotionnelle du tragique. » Quoiqu’ accrochés trop haut dans cet espace, le visiteur ne pouvait pas les ignorer.Je me suis dit alors qu’ayant beaucoup essayé, il y avait très probablement trouvé le soutien de sa créativité. Et de ce sentiment de rage qui dominait cette présentation, on pouvait sentir qu’il allait en faire un moteur de son épanouissement. Des années après, j’ai revu des œuvres de Killy; il avait effectivement trouvé sa voie.
Ce que j’ai vu depuis dans des expositions et sur le net sont souvent des portraits type, des visages, compte tenu du cadrage et de la proximité des plans. Ma question alors a été : Pourquoi un tel choix?
On peut supposer que l’intérêt pour ce sujet particulier est peut-être dû au fait que, dans ses observations quotidiennes, Killy a réalisé que nos visages peuvent contenir l’intégralité de notre expérience de vie et révéler notre personnalité profonde.On peut aussi supposer que Patrick Ganthier (Killy), sans nécessairement le savoir, a été affecté par le cinéma et la télé où,par l’utilisation de gros plans, le visage s’est révélé avoir un pouvoir expressif longtemps méconnu.
Dans la grande majorité de ses portraits la composition est frontale. Quelques fois, le visage est cadré en gros plan, mettant à profit tout ce pouvoir expressif lié au visage qui du coup établi un lien avec celui qui contemple l’œuvre.Dans ces cas, le visage laisse peu d’espace au support, généralement monochrome,on l’on trouve quelquefois l’ajout d’un motif en forme de croix. L’image est austère. Les regards sont parfois féroces, menaçant et,souvent, montrent un état d’égarement. Ses personnages ont alors quelque chose en commun avec ceux d’autres artistes haïtiens, ses aînés du Foyer des Arts Plastiques dans la mesure où on semble pouvoir les qualifier de semi-zombis, vide de toute vie interne, comme l’a suggéré Michel Philippe Lerebours pour des personnages de Dieudonné Cédor et Denis Émile.
Si ce détail,ainsi que le caractère dénonciateur et oppressant de ses œuvres,permettent de rapprocher Killy de ses aînés du Foyer, il diffère de ceux-ci par la forme et son expérience de graveur y contribue largement.
Les choix esthétiques de Patrick Ganthier dit Killy, lui permettent de se débarrasser de toute narration. Il n’y a pas de mise en scène.Il fait fi des conventions naturalistes. L’impression que fait sur lui le monde qui l’entoure est intériorisé et rendu dans une forme que lui, l’artiste, juge appropriée.
S’il est vrai qu’il privilégie des visages anonymes, on l’a vu quelques fois traiter le corps entier, dépouillé. Si cela peut prendre l’allure d’une libération des tabous, l’érotisme est cependant totalement détourné.
On a vu aussi les visages se multiplier sur la surface du support, procédé qui exprimerait une volonté de passer de l’individu à la collectivité. En apparence tributaire de la figuration, l’intention de Killy semble décisivement toute autre. Dans sa volonté de dépasser la narration, il s’est même, quelques fois, aventuré dans le domaine de l’abstraction. Le fait est qu’à travers ces combinaisons différentes,l’atmosphère que l’on sent palpable ne change pas. Elle est le reflet de l’angoisse, d’un malaise.
Interrogé par un homme de pouvoir à propos de son Guernica : «C’est vous qui avez fait ça?», Picasso répondit « Non, c’est vous ». Je relate ce fait qui a été conté parce que j’ai l’impression que Killy,à qui on aurait posé la même question,donnerait la même réponse.