Avant le néo-tantra (le "Tantra"), le tantrisme a eu une histoire en Asie.
Pour aller au plus simple, il faut distinguer entre les traditions anciennes, avant le XIIè siècle ; et les traditions postérieures au XIIè siècle, marquées par les ravages des violences islamiques.
Voici comment Mark Dyczkowski résume les différences entre les deux périodes :
"Après le XIIè siècle, (...) les Musulmans ont établi leur domination sur le Nord de l'Inde et, en toute probabilité à cause de cela, la plupart, si ce n'est toutes les traditions tantriques qui fleurissaient dans le Nord furent finalement interrompues. Bien que la transmission des enseignements de ces traditions et les lignées tantriques à travers lesquelles elles étaient transmises furent perdues, les principes essentiels, les symboles, beaucoup de divinités, de rituels et autres pratiques ne tombèrent pas dans l'oubli. On pourrait dire que, dans une large mesure, les paradigmes sont restés. Cependant, les formes concrètes qu'elles générèrent dans la renaissance qui s'ensuivi , bien que similaires, ne furent pas les mêmes. Dans certains cas, la transition ne pu se faire sans modifications substantielles, ni même sans la perte des structures antérieures, alors mêmes qu'elles avaient subsisté pendant des siècles et avaient été reproduites dans de nombreuses traditions tantriques." (Manthâna Bhairava Tantra, Introduction, vol. 1, p. 474)
Autrement dit, il faut comprendre qu'il y a un avant et un après l'irruption de l'islam, en Inde comme ailleurs. Le génocide subit par l'Inde a laissé des dégâts irréparables, outre les millions de vies détruites. Cependant, bien des éléments ont survécu, sous d'autres formes. Dyczkowski donne l'exemple du corps subtil : dans les traditions tardives, dont celle des "sept chakras" qui a été mondialisée par l'entremise de Woodroffe, tout ce qui était situé dans l'espace au-dessus de la tête, est désormais placé dans la tête, dans le fameux "lotus aux mille pétales".
Il en va de même pour le reste : des fragments anciens subsistent dans les traditions tardives, mais tout est bouleversé. Par exemple, des divinités anciennes survivent dans le système tardif des "Dix Grandes Sciences" (dasamahâvidyâ), mais sous une forme très appauvrie, sans la profondeur qu'elles avaient avant. Ainsi le yoga passe à l'arrière-plan, tandis que les rituels prennent de plus en plus d'importance. Surtout, le yoga tantrique est remplacé par le hatha yoga de la tradition Nâtha, laquelle est clairement une perversion des traditions Kaula dans le sens d'un ascétisme et d'une misogynie toujours plus marquées. Ce mouvement est aujourd'hui si dominant que la mémoire des génies passés du shivaïsme du Cachemire, ainsi que la richesse sans équivalent des yogas shivaïtes, ont presque entièrement disparues des mémoires.
Voilà pourquoi, même si l'on n'est pas un spécialiste de l'histoire du tantrisme, il est important d'avoir en tête la distinction entre ces deux époques du tantrisme.