juillet aura été jaune et sèche
et aura fait croître les vignes dans la cour
elles sont maintenant brillantes
vertes et envahissantes
les averses d'août
inondant la terrasse
faisaient miroiter dans la haute clôture lustrée
l'enfermement que je vivais cet été
je passe un été moche
comme beaucoup
et je n'arrive pas à me remonter le moral
le corps le coeur et l'âme
malgré tous les privilèges dont je jouis
tout ce qui m'entoure
me renferme sur moi
dans moi
dans un être qui change malgré moi
malgré ma volonté d'être active
autant ma trentaine était flamboyante
avec mes pantalons brillants
mes coats de cuir
mes longs cheveux bruns
et mon désir de séduire
autant ma cinquantaine est invisible
oui je sais
j'ai écouté marie-ève cotton ce mercredi
raconter ma complainte
je me suis littéralement entendue
tout en me disant
que j'avais trop de temps
que j'étais une femme de banlieue désoeuvrée
et que si j'avais une valable raison d'être
jamais je n'aurais ni le temps
ni le loisir de me désespérer
avec mon vieillissement
j'écris tout le contraire
de ce que je pensais il y a à peine deux ans
c'est dans la tête que tout se passe
si je veux je peux
meh
je me sens faible et vulnérable
et je n'aurais jamais voulu l'être
je n'ai que cinquante-trois ans
rien que
et je lis le deuxième tome de kristin kimball
qui raconte sa vie sur la ferme qu'elle a conçue
avec son amoureux quelques années avant
et elle a dans ce chapitre presque quarante ans
et deux filles d'âge préscolaire
et malgré toute sa volonté
de participer aux travaux de la ferme
son corps est plus fatigué qu'avant
et son statut de mère la confine
aux tâches de la parentalité et des soins domestiques
car il y a plus fort qu'elle
pour mieux accomplir tout le reste
et elle se sent vieille à quarante ans
et je regarde de l'autre côté
à gauche ou à droite selon la religion
et je vois ma mère
cette femme si grande à presque quatre-vingt
et si je me sens invisible
est-ce que je vois ma mère
est-ce que je ne devrais pas m'arrêter un peu
et la contempler davantage
comprendre de quoi elle est faite
et comment elle vit sa vie
savoir comment elle se sent sereine
est-ce que je l'estime pour ce qu'elle est aujourd'hui
ou est-ce que je la dévalorise
car elle vieillit
je sais que je pense qu'elle occupe ses jours
je n'essaye pas de voir sa valeur dans la société
c'est une question dure et cruelle
mais c'est mieux de me questionner
que de ne même pas penser
aux personnes plus âgées que moi
je sais qu'elle s'implique
et je me doute que les gens qui l'entourent
l'adorent
et elle est encore si vive d'esprit
et si curieuse
mais est-ce que c'est ce que j'ai envie d'être
alors que je me sens devenir inutile
car je fonctionne moins bien corporellement
mon appétit sexuel a dramatiquement baissé
ce serait doux si j'étais célibataire je crois
mais en couple c'est insécurisant
je le vois comme une menace à la fidélité
et je dois régler cela
la sexualité doit rester
même si elle peut changer
par ailleurs si j'ai moins de désir
son corollaire est que je ne me sente plus désirée
et ça c'est tough pour la séductrice
aucun homme ne se retourne plus à mon passage
même dans la petite italie
à moins que je revête une robe légère
s'ajoute à cela l'enfermement
le télétravail qui me garde en vase clos
avec mes dossiers et mes coups de téléphone
et personne pour me gratifier
de mes bons coups professionnels
je pensais enrichir mon âme en créant la vie
dans un potager
mais j'ai fait des erreurs de parcours
et il est aussi stérile que moi
je sais que ce n'est que la ménopause
que je vais me retrouver
que ces angoisses sont naturelles
dans la société occidentale bourgeoise
mais ma clôture de huit pieds de haut
me coupant de la vie de ruelle
même si cela impliquait le cul d'un pick-up
et l'indiscrétion des voisins
ça me rend encore plus invisible
en me cloîtrant davantage
mon coeur est toujours si proche
battant en fortes palpitations
et dès que mon corps devient moins fonctionnel
il s'emplit d'émotions
c'est peut-être le temps du repos momentané
celui de la réflexion
mais je n'aime pas être invisible
et ne pas participer alors que la vie se passe
je n'aime pas penser
que la vie se passe de moi
en attendant d'être vue
je ne veux que fuir
partir à tout moment
prendre le large et être spectatrice
observatrice de la vie
qui continue de battre
avec toute sa vigueur
ne vous en faites pas
je ne vivrai pas longtemps par procuration
je trouverai des solutions
comme toutes les autres femmes
je vais continuer de me refaire
de retrouver ma raison d'être
pour me savoir belle et utile
visible
et mémorable
et je sais qu'un jour viendra
où mon ego disparaîtra
et la paix sera enfin en moi.