Magazine Beaux Arts

4.4 Le mannequin partout ailleurs

Publié le 21 août 2020 par Albrecht

Ailleurs qu’en Italie, le mannequin de peintre n’a pas véritablement donné lieu à une école ou à une tradition nationale : il est adopté sporadiquement par quelques artistes, parfois comme objet symbolique, parfois simplement comme signe de reconnaissance visuel.

En Allemagne et Europe Centrale

George Grosz

Grosz George 1920 Automates républicainsAutomates républicains, 1920 George Grosz, Daum marries her pedantic automaton George in May 1920, John Heartfield is very glad of it, Berlinische Galerie Der Dada No. 3 (April 1920)Daum marries her pedantic automaton George in May 1920, John Heartfield is very glad of it, Berlinische Galerie, paru dans Der Dada No. 3 (Avril 1920)

Grosz George 1921 Der neue Mensch aquarelleSans titre, 1920, Kunstsammlung Nordrhein Westfallen Grosz George 1921 Der neue Mensch aquarelleL’homme nouveau, aquarelle, 1921

George Grosz

Le mannequin de couturier à la Chirico tend maintenant à devenir automate : le thème échappe définitivement à l’esthétique de l’atelier d’artiste, pour devenir le symbole urbain de l’aliénation.


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Oskar-Kokoschka 1922 Mann mit Puppe Nationalgalerie, Staatliche Museen zu BerlinL’homme à la poupée, Nationalgalerie, Staatliche Museen zu Berlin Oskar-Kokoschka 1922 -Self-portrait-at-the-easel-Autoportait au chevalet, collection privée

Oskar Kokoschka, 1922

Après sa rupture avec Alma Mahler, Kokoschka s’était fait confectionner  une poupée grandeur nature à son effigie, qu’il trimbalait dans tout Vienne et a représentée dans plusieurs oeuvres, notamment le tableau de gauche.

Dans celui de droite, le rapport de domination s’inverse : la poupée a changé de coiffure, a rosi, s’est mis du rouge à lèvres et du rimmel, est passée à l’arrrière-plan et regarde le peintre d’un air bête, tout sortilège évanoui.

C’est dans la lignée de cette aventure que Bellmer développera son propre fétichisme de la poupée, qui sort du thème du mannequin d’artiste


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Otto Dix, Stilleben im Atelier (Still Life in the Studio), 1924 Stuttgart, Kunstmuseum Stuttgart

Nature morte dans l’atelier (Stilleben im Atelier)
Otto Dix, 1924, Kunstmuseum, Stuttgart

La main droite levée  en l’air du modèle semble accomplir le mouvement ébauché par la même main du mannequin. Et sa jambe droite, avec son bas qui tirebouchonne, imite la même jambe du mannequin qui, étant de tissu, n’a pas besoin de lingerie.

Géométriquement, les deux montants du chevalet poussent à comparer la poitrine de chair et la poitrine de toile. Le montant de gauche, en barrant le ventre de la femme enceinte, insiste sur son opulence, comparé au ventre plat du mannequin  inutilement voilé par une gaze ridicule. Enfin, le pied du chevalet mène l’oeil du cou en poireau du mannequin, au visage halluciné de la modèle, à son épaisse toison et à son aisselle velue.

Faut-il conclure de ces mimétismes que la Peinture et le Dessin, symbolisés par le chevalet et l’équerre, sont capables de transformer le piteux mannequin en une mère plantureuse ?

Le titre même du tableau nous pousse à  une conclusion plus cynique : en unifiant dans le terme « nature morte » la femme et le mannequin, il chosifie la modèle de chair  tandis que la modèle de tissu gagne en  humanité. Trouée aux mites et comme couverte de bubons, elle apparaît comme la soeur putréfiée que, comme une Pieta, la vivante porte sur son sein, élevant vers le ciel un bras désespéré et un regard exorbité.

Comme une femme découvrant qu’en donnant la vie, elle  enfante sa propre mort.


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Stoecklin Niklaus, Vue de l'atelier avec un mannequin 1930Mannequin dans l’atelier Stoecklin Niklaus, Gliederpuppe (1930)Mannequin au miroir

Niklaus Stoecklin, vers 1930, collection privée

Surréalisme suisse tranquille.


hans-walter-scheller 1929 stillleben-mit-gliederpuppe,-büchern-und-glaskaraffe coll priv
Nature morte au mannequin, aux livres et à la carafe
Hans Walter Scheller, 1929, collextion privée

Surpris par derrière, le mannequin est pris en train de manger les fruits du peintre, boire son café et son vin, et lire ses bouquins. La vue plongeante fait tout l’intérêt de cette toile sans conséquence.


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Wilhelm-Lachnit-1947-ca-Gliederpuppe-Neuen-Nationalgalerie-Berlin.
Mannequin (Gliederpuppe)
Wilhelm Lachnit, 1948, Neuen Nationalgalerie, Berlin

Vingt ans après le tableau post-cubiste de Scheller, exactement les mêmes objets réapparaissent dans cette nature morte post-expressionniste, dans une ambiance moins festive : la bouteille est vide, la pomme et le livre sont uniques, et les gants blancs semblent interdire au mannequin de se saisir de quoi que ce soit. Il semble compter le chiffre 8 sur ces doigts, mais peut être est-il en train d’argumenter stérilement : auquel cas il pourrait incarner le système privé d’âme, assis sans le regarder face au peintre qui lisait son livre. L’objet creux devant son coude gauche reste une énigme à déchiffrer (un morceau de bras désarticulé ?).

Wilhelm Lachnit 1948

Wilhelm Lachnit, 1948

Emprisonné sous Hitler, Lachnit a vu une grande partie de son oeuvre détruite lors du bombardement de Dresde. Nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts dans la RDA de l’après-guerre, il était en bute dès 1948 a de nombreuses critques, et a dû démissionner en 1954 pour « formalisme » et défaut de réalisme.


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Wojciech Weiss

1926 Wojciech Weiss Manekin i modelkaWojciech Weiss, 1926 1934 Wojciech WeissWojciech Weiss,1934

En 1926, la modèle nue regarde avec curiosité son  contraire et néanmoins confrère : un mannequin mâle, habillé jusqu’au cou, et qui la regarde avec une égale curiosité.

En 1934, le duo est devenu un trio. Dans un bric-à-brac d’artiste, la modèle bien en chair  se repose le regard vague en mangeant des cerises.  En face d’elle,  le mannequin bellâtre la contemple,  on comprend bien qu’il ne serait pas de bois s’il n’était pas de bois. Entre les deux, le Cupidon doré brandit sa flèche et ironise sur cet amour platonique.

Krisis 1934

Krisis
Wojciech Weiss, 1934

« Ceci est non seulement une crise, mais une fin. Les ateliers d’artiste accumulent des piles d’images dont la société d’aujourd’hui n’a pas besoin… Je ne pensais pas du tout ici au symbole. Je peins seulement la nature. »  Wojciech Weiss dans la revue « En avant » (Naprzód) le 29 Avril 1934.


En France, rien à signaler

1930 ca Andre Derain - La Femme et le PantinLa Femme et le Pantin
Photographie d’André Derain, vers 1930, Paris 1932 Henri Cartier-Bresson, Leonor Fini, Paris,Portait de Léonor Fini
Photographie d’Henri Cartier-Bresson, 1932, Paris

A ma connaissance, aucun peintre français important ne s’est intéressé au thème au XXème siècle.


En Angleterre, le manequin cosy

Dans l’entre deux guerre, des portraitristes mondains se délassent, de temps en temps avec des mannequins très peu subversifs, qui font tranquillement les gestes de tous les jours.

1929, Alan Beeton Reposing I Beeton-Family-EstateLe repos (Reposing I)
Alan Beeton,1929, Beeton Family Estate 1930, Alan Beeton Reposing II The Fitzwilliam MiseumLe repos (Reposing II)
Alan Beeton,1930, The Fitzwilliam Miseum

Deux  des sept portraits que Beeton fit de son mannequin féminin : en 1929, elle relève sa robe en contemplant des images légères ; en 1930 elle se fait plus discrète, cachée derrière un rideau [8].


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Nude and Mannequin David Jagger

Nu et mannequin
David Jagger, date inconnue, Collection privée

La symétrie de la composition fait ressortir le contraste maximal entre la femme et le mannequin  : vue de dos contre vue de profil, bras levés contre bras baissés, regard clair contre yeux dans l’ombre.

A gauche, la peau blanche s’appuie sur le tissu du fond, à droite le tissu écru se découpe directement sur le mur. Ainsi est mise en évidence l’énigme intrinsèque au mannequin, jamais véritablement  mis à nu : car comment enlever sa peau à  un être de textile ?


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john-bulloch-souter (1890 - 1972), wood-lay-figure-with-a-mirrorMannequin au miroir
John Bulloch Souter, date inconnue The Lay Figure, 1942 by Victor Hume MoodyLe mannequin (The Lay Figure)
Victor Hume Moody, 1942

Le mannequin comme visiteur dans l’atelier ou comme acheteur de son propre portrait.


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Ward John Stanton 1989-90 Dressing the ModelDressing the Model, 1989-90 ward john-stanton 1995 self-portrait-with-lay-figureSelf portrait with lay figure, 1995

John Stanton Ward


Un peu partout

Paul Cadmus - Manikins, 1951,

Manikins
Paul Cadmus , 1951

Sur un table de bois, les deux mannequins de bois s’abandonnent à une étreinte gidienne sur un oreiller de littérature engagée (Corydon, les sonnets de Shakespeare). Posée à côté des Lettres de Michel-Ange, une main de bois les bénit.


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Matias Quetglas 1985

Matias Quetglas,1985

Le vin est-il la cause de la chute, ou le moyen de la résurrection du mannequin ?


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Charles Pfahl

charles pfahl Other Gates 1 1998 2001Other Gates 1, 1998–2001 charles-pfahl-blutterbunged (abasourdi)Blutterbunged (abasourdi)

Dans une série d’huiles sur toile à la fois hyper et surréalistes, Charles Pfahl associe un mannequin féminin à des poupées et des squelettes de  poisson. Face à la dureté du celluloïd et des dents,  la mollesse et le décrépitude du mannequin le font apparaître comme étrangement humain.


charles pfahl Sleepaway (etude pour Archetype)Sleepaway charles pfahl Archetype 2003 detailArchetype (détail)

C’est la gueule dentée du poisson mort qui donne au mannequin la capacité d’enfanter.


Archetype 100x80 oil, gold leaf, silver leaf on canvas
Archetype,
Charles Pfahl, 2003, huile sur toile

charles pfahl Shadow, 2012Shadow, 2012 charles pfahl The OfferingThe Offering

Ainsi le mannequin caricature le destin de la Femme, d’un plaisir mécanique à l’enfantement d’un squelette.

pfahl_anubis

Anubis, Charles Pfahl


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Robbie Wraith

Robbie Wraith soliloquy 2014Soliloquy Robbie Wraith arriere pensee 2014Arrière-pensée

Robbie Wraith, 2014

A gauche, le mannequin, qui peut prendre toutes les poses, tient sur son coeur trois masques vénitiens : affection d’un corps sans vie pour un visage sans identité.

A droite, la feuille blanche derrière le mannequin  et le miroir vide derrière la marionnette matérialisent les deux  arrières-pensées de l’artiste : trouver un sujet, imiter le réel.

Robbie Wraith alexandra reflectionAlexandra reflection Wraith-R-Portrait-in-Two-WorldsPortrait-in-Two-Worlds

Dans ces deux tableaux où la composition se sert du miroir pour réunir le peintre et son modèle (voir Le peintre en son miroir :  L’Artiste comme compagnon), la présence du mannequin ajoute une solidarité  supplémentaire : assis jambes écartées, voire couvert d’un manteau rouge, il ressemble au modèle ; mais situé en face et de l’autre côté de celui-ci, il fait pendant au peintre dans une sorte d’antiportrait passif : bras ballants et visage absent.


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 Cesar Santos

Cesar Santos 2012 1 Hunting season1 Hunting season Cesar Santos 2012 2 The Explorer2 The Explorer

Cesar Santos 2012 3 Crossbreed3 Crossbreed Cesar Santos 2012 4 Naughty Role Models4 Naughty Role Models

Cesar Santos 2012 5 Annunciation5 Annunciation

Cesar Santos 2012

Dans la lignée d’Alan Beeton, Cesar Santos a redécouvert le potentiel onirique et érotique du mannequin d’atelier, auquel il a dédié en 2012 cette remarquable série, que nous laisserons à son mystère.


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Louise C. Fenne - Self Portrait in Studio 2014

Autoportrait à l’atelier
Louise C. Fenne, 2014

Retranchés derrière la cloison, le perroquet a échappé à sa cage et le mannequin à l’artiste, pour mener une vie indépendante. Dit autrement  :  la Couleur et la Forme se planquent, tandis que  l‘Inspiration attend.


Références : [8] Beeton commença par une série de quatre : Composing et Decomposing, complétée par  Posing et Reposing. Vu le succès, il fit une  seconde série de trois:  Posing , Reposing  (Fitzwilliam Museum) et  Composing.

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