Mon livre est pareil à la Seine, il s'écoule et ne tarit pas.
C'est sur ces paroles d'Agram Bagramko, qu'il fait siennes, que le livre III de François Sureau s'achève, ou plutôt ne s'achève pas, parce que l'auteur, conteur intarissable, laisse à un moment augurer d'autres développements
Peut-être davantage encore que dans les livres précédents, contenus dans ce seul et même volume, l'auteur se livre-t-il, mais il le fait à chaque fois au détour d'une de ses multiples digressions, comme lorsqu'il écrit:
En matière de littérature, j'aurai, peut-être toute ma vie balancé entre l'acceptation et le refus, comme ces pages en témoignent; mais j'ai conçu, à l'usage, du dégoût pour l'anti-littérature des littérateurs.
Il suit les traces de Bagramko, qu'il n'a pas connu et qu'il ne cherche d'ailleurs pas à connaître (le pourrait-il vraiment?). Car ce sont ses traces seules qui l'intéressent, qu'elles soient réelles ou imaginées, ce qui est sans importance.
En suivant Bagramko, avec pour fil conducteur son livre Ma source la Seine, il revisite des lieux où il a vécu, en découvre d'autres. Mais est-ce vraiment les lieux qui importent? N'est-ce pas plutôt les personnes que ces lieux évoquent.
Ces personnes l'entraînent vers d'autres lieux, vers d'autres temps, vers d'autres personnes. À partir d'eux, des cercles (dérangés?) toujours plus grands lui permettent d'entrer dans des considérations plus générales telles que celle-ci:
Le roman policier nous retient par le mépris des circonstances adventices - les transformations sociales - et sa concentration sur les seules conséquences du péché originel: la possibilité du meurtre et la douleur d'être désormais livré sans défenses à un monde dans lequel il faut lutter pour survivre, les formes d'organisation successives qu'il peut prendre étant au fond de peu d'intérêt.
Ou celle-ci:
Chez les modernes, l'incessante production de plans et de programmes va de pair avec une grande pusillanimité dans leur mise en oeuvre. Dans une société où l'on trouve normal d'être gouvernés par des fonctionnaires, au point que leurs échecs ou leurs fautes n'entraînent pas de conséquences qui soient en proportion, il est logique que ces employés qui sont devenus les maîtres se désintéressent des suites effectives de leurs actes.
François Sureau parle de lieux et de personnes très divers, connus, inconnus ou méconnus (l'index des noms ne comprend pas moins de vingt-huit pages et l'index des lieux en comprend neuf), sans autre guide que Bagramko.
Un lieu revient toutefois plus souvent dans le troisième livre que dans les deux premiers. C'est le château de La Geneste, à Chateaufort, dans la vallée de Chevreuse, où Grigoriev, l'ami de Bagramko, avait un pavillon de peinture.
Ce château, que l'auteur prétend n'avoir visité que deux trois fois appartenait au professeur M., dont il reconnaît, au début du livre I, puis dans une note en bas de page du livre III, être le petit-fils. N'aurait-il pas dû s'appeler La Genèse?
Francis Richard
L'or du temps, François Sureau, 850 pages, Gallimard
Article sur le livre I:
Des origines à Draveil (3 août 2020)
Article sur le livre II:
Mystiques parisiennes (6 août 2020)
Livre précédent:
Sans la liberté (2019)