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Akira. Apocalypse joyeuse

Par Balndorn
Akira. Apocalypse joyeuse

Il est des œuvres dont on ne sort pas indemne. Des créations si fortes qu’on ne sait qu’en penser. Des films si singuliers qu’ils méritent qu’on les revoie, l’esprit apaisé, des années plus tard. Akira en fait partie.

Une puissance surhumaine

Depuis longtemps, j’attendais l’occasion de voir Akira. On m’avait tant parlé de son étrange beauté, de son style perturbant et de son univers cyberpunk qu’il me tardait de voir le chef-d’œuvre de Katsuhiro Ōtomo. Et voilà qu’advint le moment tant attendu : sa ressortie dans les salles françaises. En 2020, un an après les événements que raconte le film.

Akira m’a-t-il déçu ? Que nenni. A-t-il exaucé mes fantasmes cinéphiles ? Non plus. Akira a été pour moi un choc. Quelque chose qui laisse bouche bée et dont il est difficile de parler, tant sa puissance échappe à l’entendement.

Qu’est-ce qui marque à ce point ? D’abord, ce qui saute aux yeux : l’animation. Aucune image en prise de vue réelle n’égalerait l’hyperpuissance des dessins animés d’Ōtomo. On souhaite bien du courage au nouveau projet d’adaptation hollywoodienne, porté par Leonardo DiCaprio à la production. Car l’image en prise de vue réelle, par définition, enregistre le réel, là où l’image animée invente un autre univers. C’est certes un poncif du cinéma d’animation, mais c’est un poncif qu’il faut rappeler pour aborder Akira. Par sa technique mêlant francs aplats de couleur et lignes souples, Ōtomo donne chair à un monde à la plastique très malléable. Qui voit Akirase souviendra longtemps des visages bleus et ridés d’enfants télépathes, de la destruction de Neo-Tokyo ou de l’extension monstrueuse d’un des personnages principaux à la fin du film… Tout ceci parce qu’Ōtomo exploite à plein régime le potentiel virtuellement illimité du cinéma d’animation.

Toutefois, Akira ne se limite pas à sa technique d’animation. Un des aspects les plus remarquables du film tient dans son travail sonore. Aux grandes partitions épiques s’ajoutent des sons électroniques issus de la culture cyberpunk. Et surtout, à l’acmé du bruit succède un silence soudain. Plus aucun souffle dans cette ville en ruines. L’image, assourdie, contemple, calme avant la tempête, la conflagration naissante.

Akira. Apocalypse joyeuse

Une mystique de l’Apocalypse

Ces instants de suspension résonnent avec la spiritualité qui imprègne Akira. Car oui, Akira est bel et bien une œuvre religieuse – mais d’une religion surhumaine. L’attente millénariste du retour d’Akira, un être dont on ne connaîtra quasiment rien jusqu’à la fin du film, imprègne l’œuvre à laquelle il donne son nom. Un espoir de purification nourrit les habitants d’une Neo-Tokyo corrompue et négligée par ses dirigeants : il touche aussi bien un grand prêtre improvisé qu’un scientifique fasciné par l’objet de son travail. Mais c’est aussi en termes de mise en scène qu’Akira se conçoit comme œuvre spirituelle. Dans les instants de suspension précédemment évoqués repose la contemplation de l’Apocalypse. Celle-ci, comme le rappelle l’explosion nucléaire qui ouvre le film, s’inscrit bien évidemment dans le souvenir des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais à la dimension mémorielle s’adjoint la mystique de la pureté mentionnée plus haut, qui trouble considérablement la lecture du film. Ōtomo attendrait-il une autre apocalypse nucléaire pour laver le Japon néo-libéral de la fin des années 80 ?

La relation d’Akira au nucléaire est trouble. D’un côté, Neo-Tokyo – la ville d’origine ayant été rasée au début du film par une bombe nucléaire au cours de la Troisième Guerre mondiale – vit dans la peur d’une nouvelle catastrophe, les ruines de la première ville témoignant encore de la puissance du cataclysme. Mais de l’autre, l’énergie nucléaire sert en quelque sorte de carburant, à tout le moins d’inspiration, au style épique d’Ōtomo. Le remède se trouve dans le mal.

Affects, intellect et spiritualité

C’est là qu’on touche aux limites d’Akira. Pour qui n’a pas lu les six volumes du manga – et je fais partie de cette grosse majorité –, le scénario est difficilement compréhensible. Les événements se succèdent en un rythme effréné qui ne laisse aucun temps au spectateur pour digérer les informations et distinguer les innombrables personnages. À vrai dire, le principe narratif lui-même est en cause. La mise en scène fonctionne selon le principe de la merveille, pour reprendre une terminologie médiévale européenne. À savoir : l’affect précède l’intellect. Quelque chose digne d’être regardé (mirabilis) attire et focalise notre attention. Le procédé est à double tranchant. Certes, la mise en scène gagne considérablement en puissance, puisqu’on demeure ébahi devant quelque chose qu’on ne comprend pas de prime abord ; mais ce qu’elle gagne en force d’impact, elle le perd en intelligence du récit. D’autant que la narration très décousue, qui saute du coq à l’âne et – à dessein – ne prend pas le temps d’expliquer ce qui se passe à l’écran, n’aide pas à saisir les tenants et aboutissants du projet global.

Voilà le dilemme devant lequel on se trouve après avoir vu Akira pour la première fois : d’une part on s’étonne de l’énergie formelle déployée par le film et d’autre part on s’interroge sur les raisons d’une telle débauche de moyens. C’est pourquoi je qualifie Akirad’œuvre spirituelle. Au terme du visionnage, nous sommes comme les témoins d’un miracle – post-technologique au lieu de divin – dont nous ne saurions quoi penser, tant ce qui vient de se passer excède nos capacités humaines. Quel sens donner en fin de compte à cette profusion d’idées ? et même, y en a-t-il un à en trouver un ? À défaut de répondre immédiatement, je laisserai le temps à mes sensations de mûrir et à mes idées de s’affiner avant, tôt ou tard, d’affronter à nouveau le colosse.   

Akira. Apocalypse joyeuse

Akira, Katsuhiro Ōtomo, 1988, 2h04

Maxime

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