F. Scott Fitzgerald, 1920
" ... J'ai une théorie sur les gens d'ici. Je pense qu'ils sont en train de se frigorifier.
- Comment ?
- Je pense qu'ils sont de plus en plus semblables aux Suédois. Comme les personnages d'Ibsen. Ils sont de plus en plus sinistres et mélancoliques. C'est à cause de ces longs hivers. Avez-vous lu quelque chose d'Ibsen ?
Elle secoua la tête.
- On trouve chez ses personnages une sorte de rigidité songeuse ; ils sont francs, directs, étroits, tristes, dépourvus de capacités à éprouver de grandes joies ou de grandes peines.
- Incapables de larmes ou de sourires ?
- Exactement. C'est ma vieille théorie. Voyez-vous, il y a des milliers de Suédois ici. Ils y viennent sans doute parce que le climat est proche de celui de leur pays, et le mélange des races s'est fait peu à peu. Il n'y en a pas plus d'une demi-douzaine ici ce soir - mais... nous avons eu quatre gouverneurs d'État suédois. Est-ce que je vous ennuie ?
- Vous m'intéressez énormément.
- Votre future belle-sœur est à moitié suédoise. personnellement, je l'aime bien, mais je pense qu'en général les Suédois nous marquent beaucoup trop. Les Scandinaves vous savez, ont le plus fort taux de suicide du monde.
- Pourquoi restez-vous dans un pays aussi déprimant ?
- Oh, ça ne m'atteint pas. Je suis presque tout le temps enfermé, et je crois que les livres m'importent plus que les gens.
- Mais les écrivains disent tous que le Sud est tragique, si, vous savez bien : les señoritas espagnoles, les dagues et la musique envoûtante.
Il secoua la tête.
- Non, les races nordiques sont les races tragiques - elles ne se permettent pas le luxe des larmes..."
Francis-Scott Fitzgerald : Extrait de "Le palais de glace" 1920. Du même auteur, dans Le Lecturamak :